Un vitrail par jour 41

18 décembre Ce qui est essentiel

Institution de la Cène: XPC [Christus] MANDUCAT CUM DISCIPULIS. Le Christ est à table avec ses disciples ; six disciples, nimbés, sont assis avec lui d'un côté de la table; en face Judas, accroupi, sans nimbe.

N.B. Veuillez excuser la qualité toute relative de ce cliché, le vitrail est situé au sommet de la quatrième fenêtre et peu lumineux.

Matthieu 26, 26-28

26 Pendant qu’ils mangeaient, Jésus prit du pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le donna aux disciples, en disant : Prenez, mangez, ceci est mon corps. 27 Il prit ensuite une coupe ; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna, en disant : Buvez-en tous ; 28 car ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des péchés.

Avec son sens quasi scénaristique du découpage, notre auteur médiéval résume habilement la vie de Jésus, depuis la tentation jusqu'au dernier repas avec ces disciples avant d'être livré. Il s'attardera plus longuement sur les derniers jours qui feront l'objet d'une fenêtre (V) entière.

À Jésus solitaire du désert, soumis à l'épreuve du diable, succède le Christ entouré de ses disciples dans l'acte le plus liturgique et religieux qui soit dans la culture juive qui est la sienne, le repas pascal. Ce repas a une double signification : on y mange un agneau sans défaut, en souvenir de la clémence de l'ange de Dieu lors de la dixième plaie d'Égypte. Alors que les premiers-né égyptiens étaient tués pas l'ange, ceux des Hébreux étaient préservés. Il fallait donc marquer la substitution par le partage d'un agneau. Mais c'est aussi la fête des pains azymes, c'est-à-dire sans levain pour rappeler la précipitation du départ du peuple dans le désert.

Nul doute que Jésus a profité de ce repas pour dire et redire à ses disciples tout ce qui le concernait dans les Écritures. Ce que l'on retrouve d'ailleurs dans la tradition johannique. L'évangile de Jean, contrairement aux trois autres évangiles, fait en effet la part belle à cette soirée, entrecoupée de nombreux discours de Jésus (Jean 13-18). Toujours selon Jean, le partage du pain et du vin a si peu d'importance en réalité qu'il n'en parle même pas ! Jean insiste, au contraire, sur un tout autre rite, celui du lavement des pieds des disciples par Jésus lui-même.

La tradition chrétienne a suivi les évangiles de Matthieu, Marc et Luc en faisant de ce partage du pain et du vin, l'un des éléments constitutifs de l'Église. Et conformément à la doctrine catholique romaine, ce pain et ce vin sont pour Ludolphe de Saxe « viande et réfection [nourriture] perpétuelle ». N'en déplaise aux tenants contemporains d'une interprétation symbolique, les chrétiens du Moyen-Âge croyaient effectivement manger le Christ lors de la communion eucharistique, ainsi que le souligne notre auteur : « Certes Jésus-Christ, notre benoist sauveur est le vrai pain vif qui descendit du vrai ciel et veut estre fait notre viande ». Bien sûr que certains théologiens affirmaient qu'il s'agissait d'une nourriture spirituelle destinée à alimenter notre âme mais il n'est pas sûr que cette distinction puisse être comprise par les lecteurs de Ludolphe de Saxe puisque lui-même parle de vraie nourriture, transformée miraculeusement par les prêtres.

Le sens de la vie

Cette question est irréductible dans le dialogue entre les Églises chrétiennes, catholiques romains et luthériens considérant que le pain que nous mangeons lors de la cène est réellement le corps du Christ, totalement pour les catholiques et partiellement pour les luthériens, tandis que les calvinistes considèrent que c'est l'Église qui est le corps du Christ et qu'elle est constituée de ceux qui reconnaissent dans le pain et le vin, l'amour et l'attention de Dieu pour nous. La différence est fondamentale dans le sens où, dans ce dernier cas, il s'agit d'un repas en mémoire de la vie et du message du Christ tandis que dans le cas catholique romain, il s'agit de la réitération perpétuelle du sacrifice du Christ que les protestants considèrent quant à eux avoir été réalisé une fois pour toute.

La philosophe Simone Weil, dans sa méditation du Notre Père soulignait quant à elle la dimension essentielle du pain de vie à ne pas confondre avec notre baguette de pain quotidienne (voir notre méditation du 7 avril 2020). Dans la mesure où nous ne vivons pas de pain seulement, comme le soulignait déjà Jésus lors de la première tentation du désert (vitrail 32), le pain de vie est tout ce dont nous avons besoin pour vivre vraiment, pour vivre intensément, à la hauteur de notre dignité humaine. Et alors que l'on disserte aujourd'hui sur les « commerces essentiels » ou « non essentiels », l'un des enseignement de la cène n'est ce pas justement que l'essentiel n'est pas aujourd'hui dans la seule satisfaction de nos besoins vitaux pour perpétuer nos capacités productives ?

Nous avons besoin de ce qui transcende notre quotidien et nous donne chaque jour une raison de vivre, permette de trouver un sens à notre existence. C'est prendre conscience qu'il ne suffit pas d'exister mais qu'il faut vivre et à ce titre, ce sont bien les œuvres de l'esprit, la culture, le théâtre, le cinéma, la littérature, l'opéra, le ballet, la musique et toutes les formes d'art mais aussi la convivialité, l'échange, le débat, la controverse, l'enrichissement intellectuel qui constituent l'essentiel de nos sociétés et font la saveur de nos existences. C'est aussi ce que nous devons pas sacrifier collectivement sur l'autel de la sécurité sinon à quoi bon lutter si plus rien n'a de sens ?

Roland Kauffmann

 

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