15 novembre Le messager du salut
L'annonciation de la naissance de Marie. Un ange, nimbé de rouge, qui tient dans sa main droite le bâton de héraut, se terminant en fleur de lys, est agenouillé devant Anne, dont l'absence de nimbe la distingue de sa fille qui sera représentée nimbé ou couronnée. À noter qu'il ne faut pas faire de contre-sens et voir dans la fleur de lys qui surplombe le bâton du messager le symbole royal français. Mulhouse au XIVe siècle ne fait pas partie du royaume de France, le lys est le symbole traditionnel de la pureté virginale et signifie que c'est bien Marie que l'ange est venu annoncer à Anne.
Protévangile de Jacques le Mineur 4
« Et voici que l'ange du Seigneur vola vers elle, lui disant « Anne, Dieu a entendu ta prière ; tu concevras et tu enfanteras, et ta race sera célèbre dans le monde entier ».
Nous l'avons dit, les auteurs médiévaux ne prétendent pas respecter le texte biblique. La recherche de signification théologique et de correspondance entre les évènements leur paraît bien plus importante que les considérations textuelles. Le symbole est pour eux primordial plutôt que la critique des textes évangéliques.
C'est dans ce que l'on appelle un livre « apocryphe », c'est-à-dire non retenu dans la liste officielle des textes du Nouveau Testament, le Protévangile de Jacques, qu'est relatée la nativité de Marie. La tradition d'une annonciation par l'ange à Anne puis l'intervention de ce même ange auprès de Joachim, son mari afin qu'il comprenne que sa femme est enceinte grâce à l'Esprit est bien sûr une reprise du récit évangélique concernant Zacharie et Élisabeth d'une part et Joseph et Marie d'autre part. C'est notamment dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, ouvrage médiéval majeur de vulgarisation théologique au sens le plus noble du terme, que cette tradition est la plus développée. Elle est reprise par Ludolphe de Saxe dans son Speculum.
Ce qui est important pour notre auteur, c'est la stérilité de Anne qui la relie directement aux nombreuses femmes stériles de la Bible qui ont chacune, pourtant, enfanté grâce à l'intervention divine. Il y a Sara, femme d'Abraham qui enfante Isaac, puis Rebecca, femme d'Isaac qui enfante Jacob et Ésaü, Rachel femme de Jacob, mère de Joseph, Anne mère du prophète Samuel, sans oublier la mère de Samson ni Élisabeth, la mère de Jean le baptiste. Il s'agit d'inscrire le Christ dans une généalogie de patriarches et de prophètes, qui sont, soit porteurs de l'Alliance avec Dieu (Isaac et Jacob), soit des libérateurs (Joseph, Samuel, Samson et Jean Baptiste), une manière de souligner la légitimité de celui qui a été annoncé de toute éternité et qui dira lui-même « Avant que Abraham fut, je suis » (Jean 8, 58) reprenant à son compte cette filiation.
Une nouveauté radicale
La stérilité de Anne s'oppose à la virginité de Marie afin de souligner la fin d'un cycle. C'est quelque chose de radicalement nouveau qui commence. Mais surtout elle permet d'affirmer la sanctification de Marie in utero, pièce maîtresse de ce qui deviendra bien plus tard le dogme de l'Immaculée conception. La théologie médiévale considérait que le péché se transmettait par la semence de l'homme, laquelle nous vient d'Adam. Pour que le Christ soit sans péché, il fallait donc que sa mère soit pure et donc qu'elle-même ait été conçue du Saint-Esprit. Cette idée est particulièrement défendue au XIVe siècle par les Dominicains, un ordre prêcheur dont Ludolphe de Saxe faisait vraisemblablement partie. De manière plus pragmatique encore, la conception virginale de Marie permettait plus ou moins de répondre à ceux qui refusaient la conception virginale de Jésus, faisant de Joseph, son père biologique et, partant lui enlevant le caractère de « Fils de Dieu » dont se prévalaient ses disciples.
Toutes ces préoccupations paraissent bien éloignées de notre époque et invraisemblables aujourd'hui. Il ne faut pourtant jamais oublier que les premiers chrétiens partageaient ces conceptions avec leurs contemporains. La culture grecque classique ne compte plus les enfants nés d'une femme et issus en réalité de Zeus, parfois même des jumeaux tels Héraclès, conçu par Zeus, et Iphiklès par Amphitryon. Qu'un héros voire un dieu, Hermès, naisse d'une femme n'a rien de surprenant pour les Grecs qui entendent et lisent les évangiles ou le Protévangile de Jacques. D'autant qu'ils sont aussi accoutumés à ce que des messagers, portant un bâton représentant l'autorité au nom de laquelle ils parlent, s'adressent directement à des humains. Pour les Grecs, « l'égide » vient de Zeus et lorsqu'ils se convertissent à la foi nouvelle, ils ne font que transposer leur imaginaire culturel dans l'univers biblique. C'est cette transposition qui est parvenue jusqu'à nous avec les vitraux du temple. Pour nous, que Joseph soit le père de Jésus n'empêche aucunement que nous puissions vivre dans la foi puisque nous ne croyons plus en la transmission du péché par la biologie.
Roland Kauffmann, 15 novembre 2020
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