Un vitrail par jour 5

5 – 12 novembre – La Condition humaine

Adam et Ève condamnés au travail sur la terre maudite. Adam, couvert d'une peau de bête, retourne la terre avec une houe, tandis qu'Ève, en robe bleue, est assise au pied d'un arbre ; elle donne le sein à Abel, et tend la main à Caïn, assis à ses côtés. À sa droite, une quenouille et un fuseau ; un peu plus loin, un pot à eau.

Genèse 3, 16-19

16 l'Éternel Dieu dit à la femme : J’augmenterai la souffrance de tes grossesses, tu enfanteras avec douleur, et tes désirs se porteront vers ton mari, mais il dominera sur toi. 17 Il dit à l’homme : Puisque tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l’arbre au sujet duquel je t’avais donné cet ordre : Tu n’en mangeras pas ! Le sol sera maudit à cause de toi. C’est à force de peine que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie, 18 il te produira des épines et des ronces, et tu mangeras de l’herbe des champs. 19 C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. 20 Adam donna à sa femme le nom d’Ève : car elle a été la mère de tous les vivants.

Comment ne pas penser aux Temps modernes de Chaplin devant ce tableau du labeur et de la souffrance où l'homme n'est plus voué qu'à souffrir de la peine et la femme à enfanter dans la douleur ? C'est l'absurde et la mort qui règnent désormais dans ce monde renvoyé à son aridité originelle. Adam s'échine à travailler une terre ingrate tandis que le filage est le lot d'Ève, telle Pénélope à son rouet, alors que l'inquiétude est là : il faut subvenir aux besoins des enfants dont les deux premiers, Caïn et Abel, ici joueurs, sont promis à un destin funeste. Ce que le Speculum résume en parlant d'Adam : « Il sortit du paradis qui était un lieu joieur et doux et entra dans un lieu plein d'adversités et de duretés. Il entra dans ce monde frauduleur et décevable, lequel promet moult de biens et ment en toutes choses. Certainement le monde promet de donner à l'homme bonne vie et longue mais quand la mort vient il ne le peut rallonger de rien ».

Certainement, le texte biblique et le commentaire du Miroir du salut du genre humain nous mettent dans cette tonalité de faute à expier mais remarquons plutôt que la robe d'Ève est bleue, ce qui, au Moyen-Âge, est la couleur de la Vierge et s'ils paraissent inquiets de l'avenir, il n'y a plus d'animosité dans le couple primordial. Ne pouvant plus compter sur l'abondance du Jardin, ils doivent se prendre en main. N'étant plus liés à l'arbre et donc à la Nature, ils doivent inventer une Culture, dans tous les sens du terme. À la fois la culture de la terre et l'artisanat mais plus encore la culture au sens d'une organisation de la vie en vue d'un avenir qu'il faut assurer. Il leur faut maintenant enfin s'inscrire dans cet avenir qui n'est plus illimité. Sortis du jardin, Adam avec sa houe et Ève avec son fuseau entrent dans l'Histoire et, surtout, endossent enfin pleinement la condition humaine, celle des contemporains de nos vitraux et celle qui est encore la nôtre aujourd'hui.

Qu'est-ce que vivre ?

C'est seulement à ce moment-là que la femme prend enfin le nom de « Ève » ! L'homme étant nommé dès le début du récit et son nom renvoie à son origine, de la glaise alors que la femme est nommée en vue, non plus de ce qui a été mais de ce qui vient. Ce n'est plus l'origine qui donne son nom à la femme mais bien le monde à venir, celui des Vivants faisant ainsi le lien entre la création et le monde tel qu'il est, toujours à transformer et toujours à entretenir, toujours à soutenir et toujours à changer. Un vivant n'est vivant que s'il est mortel ! Autrement il est une souche, une pierre, une poussière, une plante, un virus et s'apparente plus à l'inanimé et à l'inconscience qu'à un humain.

À l'heure où certains, transhumanistes ou posthumanistes, prétendent revenir au Jardin dans une immortalité qu'ils ne peuvent imaginer qu'heureuse, notre vitrail nous rappelle la beauté et la dignité de cette condition humaine dont Adam et Ève sont le symbole. Une humanité vivante, malgré, ou à cause de, la peine qu'elle se donne à se forger un avenir qui soit meilleur. Tout entière tournée vers l'utopie d'un monde, sans cesse appelé à devenir le Royaume de Dieu, cette humanité primordiale ne confond pas la vie et le bonheur, elle sait la différence entre la vie heureuse dans l'indifférence du Jardin et la vie bonne qui est cette recherche, laborieuse et toujours risquée, de la justice et de la vérité. Entre le « bien vivre » et la « vie bonne », il faut toujours encore choisir.

Après ce prologue des origines, lequel nous aura fait le portrait de notre humanité, notre auteur va entrer dans le vif de son sujet, à savoir l'intervention de Dieu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire