10 novembre 2020 – La rupture
La chute. Adam et Ève, nus, sont sous un arbre chargé de fruits rouges. Le serpent est enroulé autour du tronc de l'arbre: sa tête est celle d'une femme et porte couronne. Ève, à la droite de l'arbre, porte à sa bouche le fruit défendu, tandis qu'Adam lève la main droite, comme pour l'en dissuader.
Genèse 3, 1-6
1 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs, que l’Éternel Dieu avait faits. Il dit à la femme : Dieu a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ? 2 La femme répondit au serpent : Nous mangeons du fruit des arbres du jardin. 3 Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas et vous n’y toucherez pas, de peur que vous ne mouriez. 4 Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point ; 5 mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. 6 La femme vit que l’arbre était bon à manger et agréable à la vue, et qu’il était précieux pour ouvrir l’intelligence ; elle prit de son fruit, et en mangea ; elle en donna aussi à son mari, qui était auprès d’elle, et il en mangea.
Le drame se joue là ! C'est le moment que la tradition chrétienne appellera le « péché originel », la faute par laquelle la mort est entrée dans le monde dira l'apôtre Paul (« comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché », Romains 5, 12). Si Paul fait porter toute la responsabilité sur l'homme, sur Adam préfigurant le Christ qui sera un « nouvel Adam », il n'en va pas de même de notre auteur médiéval. C'est à l'époque de Ludolphe de Saxe que vont s'enraciner dans les mentalités une prétendue infériorité de la femme qui serait plus vulnérable aux tentations que ne le serait l'homme. Et nos vitraux reprennent à leur compte cette misogynie en nous montrant une Ève souriante et complice d'un serpent lui aussi à figure féminine alors que Adam, par son geste de dénégation nous dit « je ne mange pas de ce pain là ». On connait la suite… Remarquons encore qu'il n'est pas question de pomme, ni dans le récit ni dans le vitrail ! l'arbre de la connaissance du bien et du mal, dont il ne faut pas oublier qu'il est au centre du jardin, comme l'arbre de vie, ressemble plus à un figuier dattier qu'à un pommier ou à un sapin de Noël, lequel, couvert de ses boules rouges est censé représenter cet arbre fameux.
L'origine du mal
Pour Ludolphe de Saxe, la clé d'interprétation de l'Écriture est entièrement cosmologique et chaque personnage biblique est « comme de la cire qui prend l'empreinte soit de Jésus-Christ soit du diable » mais pas dans toutes ses actions. En effet, prenant l'exemple de David : « Quand le roi David commit et perpétra adultère et meurtre, il ne préfigura pas Jésus-Christ mais le diable. Quand il aima les ennemis et leur fit du bien, il figurait alors Jésus-Christ et non pas le diable ». Cette clé d'interprétation, dite « typologique » est entièrement morale et recherche la cohérence entre le récit biblique et le message évangélique en distinguant dans le texte, ce qui est du Christ et ce qui est du diable. Si l'histoire de nos vitraux nous raconte le « trébuchement » de l'homme et « sa réparation », à savoir la venue du Christ qui doit restaurer l'humanité dans son image originelle, celle de Dieu, elle montre aussi que la frontière entre le bien et le mal n'est pas extérieure à l'homme. Par son geste, Adam endosse l'entière responsabilité et il en va de même pour nous aujourd'hui. Le mal n'a pas d'autre origine que la libre volonté de l'homme, devant avoir la capacité pleine et entière de désobéir à l'ordre pour être à l'image de Dieu et être, comme lui, en plein exercice de sa liberté.
Un Dieu libre ne pouvant créer une créature qui ne soit pas libre, il « fallait » que Adam mange du fruit. Non pas tant comme une fatalité ou la nécessaire exécution d'un plan divin écrit de toute éternité, car que serait un tel Dieu qui aurait programmé les infamies de l'histoire humaine ? S'il « fallait » que Adam cède, c'est pour endosser cette liberté indépendante de toutes les conditions qui le déterminent. Autrement il ne l'aurait pas été et si l'on admet que la liberté est la condition sine qua non de la recherche de la vérité, de l'accomplissement de l'amour et de la préservation de la beauté du monde, loin d'être une « faute » la chute d'Adam est comme celle que nous conte Albert Camus : le récit de la complexité de l'âme humaine capable du meilleur comme du pire, capable des cathédrales et des camps de la mort sans jamais cesser, que nous le voulions ou non, d'être la même humanité.
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