2 – 9 novembre 2020 – S'unir par la parole
L'institution du mariage. Dieu unit Adam et Ève; il les tient l'un et l'autre par le poignet droit, et les fait se donner la main. Adam est à la droite du Créateur, Ève à sa gauche.
Les auteurs médiévaux ne se préoccupent pas de vraisemblance ni de référence biblique. Après la création de la femme, il est nécessaire qu'elle soit présentée à l'homme, endormi lors de l'évènement, même si le texte biblique ne dit mot de ce « mariage ». Comme dans le tableau précédent, les deux humains sont nus alors que le créateur est vêtu à l'antique et, à l'image des conventions sociales du temps, ils sont unis l'un à l'autre par le mariage, donnant ainsi à l'institution une légitimité venue du fond des âges, d'ailleurs toujours utilisée de nos jours dans les formules liturgiques : « Que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ».
Pour bien comprendre ce qu'a voulu nous dire l'auteur supposé du Miroir du salut du genre humain, il faut se rapporter à son texte et à un vitrail manquant, celui de la chute des anges et de Lucifer en particulier. C'est pour faire pièce au diable que Dieu créa «l'humain lignage ». Nos vitraux sont des illustrations de cet ouvrage écrit au XIVe siècle et en suivent les principaux chapitres. Pour Ludolphe de Saxe et avec lui les commentateurs de son époque, le couple primordial a pour mission de « restaurer le trébuchement et ruine de Lucifer et de ses complices ». Nous sommes clairement dans un contexte de lutte permanente entre le Mal et le Bien, entre Dieu et le diable et plus particulièrement dans une perspective de renouvellement de la création. Entouré d'un nimbe en forme de croix, attribut de la divinité, Dieu est représenté ici, comme dans le précédent tableau avec le même visage que l'on retrouvera plus loin comme celui du Christ. C'est une manière d'inscrire le couple primordial dans l'acte même de création puisque dans la tradition chrétienne, le Christ est le logos, (la Parole ou le Verbe) par lequel, selon l'évangile de Jean, Dieu a créé le monde.
Silence et mensonge, parole et vérité
Un monde qui n'existe que par le truchement d'une parole donnée et dont tout le drame qui va se jouer bientôt relève également de la parole ou plus exactement du langage. Entre la parole de Dieu que l'artiste imagine être donnée à l'homme et à la femme au moment de ce mariage « vous ne mangerez pas du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal car le jour où vous en mangerez, vous mourrez » et la parole qui sera celle de Lucifer, « vous ne mourrez pas mais vous serez semblables à Dieu » se déploie tout l'espace entre la vérité et le mensonge. C'est entre la prétention à posséder le monde en étant éternels, en se drapant dans les attributs de Dieu et la simplicité dans laquelle Dieu nous a voulu ; entre l'ordre des choses et la « réalité alternative » ; entre l'objectivité qui veut que « deux et deux font quatre » et le discours totalitaire pour lequel il suffit de décider que dorénavant « deux et deux font cinq » que se joue l'humanité.
Nos vitraux nous racontent cette lutte dans laquelle l'humanité a un rôle primordial à jouer puisqu'elle est le champ de bataille de cette confrontation cosmique mythologique à laquelle croyaient les peuples antiques. Et là encore, le récit biblique a ceci d'original que l'humain n'y est pas le jouet des dieux ni des démons. Mais surtout il nous apprend que l'humanité est fondamentalement langage et qu'il n'y a langage que dans l'amour de la vérité.
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