Un vitrail par jour 16

23 novembre De qui est-il le fils ?

Le mariage de Joseph et de Marie. Le grand-prêtre, en évêque, unit les deux fiancés ; Marie fait de la main gauche le même geste que Sarra dans la scène précédente; Joseph a un bonnet rond et une longue barbe blanche; il s'appuie sur un bâton à béquille. Marie est couronnée et nimbée.

Légende dorée 131

Comme toute la tradition de la vie de Marie avant la naissance de Jésus, c'est dans La Légende Dorée de Jacques de Voragine que notre auteur trouve la source de son récit du mariage de Marie et Joseph. L'artiste verrier a donné un petit sourire au grand-prêtre tandis que Marie semble ne pas se réjouir de l'union. La longue barbe blanche de Joseph fait penser que la virginité de Marie sera préservée d'autant que son bâton, qui connaîtra un bel avenir métaphorique dans l'histoire de l'art, est aussi un symbole de son âge et la tradition veut que Joseph ait été non seulement chaste mais vierge lui-même. Marie est ainsi confiée à la garde de Joseph et Ludolphe de Saxe expose les huit raisons qui rendent ce mariage nécessaire à ses yeux.

La première était qu'on ne puisse penser que l'enfant à venir ne soit conçu hors mariage et que Marie soit jugée et condamnée pour cela. La seconde, c'est que Marie soit aidée et protégée partout où elle allait. La troisième, très surprenante pour nos esprits modernes, était de tromper le diable, il ne fallait pas qu'il puisse soupçonner que conformément à la prophétie, une jeune fille allait être enceinte ! Quatrièmement, qui, mieux que son mari, pouvait témoigner de la virginité de la jeune maman ? Cinquièmement, parce que la loi juive faisait courir la généalogie par les hommes et comme le Messie était annoncé comme « Fils de David », il fallait bien épouser un descendant de David. Sixièmement, la dignité du mariage en tant qu'institution voulue par Dieu est ainsi soulignée. Septièmement, montrer que la virginité, même dans le mariage, est une chose souhaitable ; à noter que le Speculum précise qu'il s'agit pour les couples ordinaires d'une virginité morale et non physique. Enfin, pour éviter de désespérer ceux qui sont mariés et pourraient craindre que la sainteté soit réservée aux vierges, c'est-à-dire aux célibataires1, ce qui, à l'époque, est synonyme de virginité.

La préoccupation de la virginité de Marie est une préoccupation constante. Il faut se souvenir que les évangiles ont été écrits en grec, tout comme les ouvrages apocryphes non retenus dans le Nouveau Testament comme le Protévangile de Jacques le Mineur qui est la source de la biographie mariale. Non seulement cette littérature est écrite en grec mais elle s'adresse aux « Hellénistes », ceux que l'on voit s'opposer aux « Hébreux » dans le livre des Actes (6,1). Les Hellénistes sont des juifs de culture grecque convertis à la nouvelle école du Christ alors que les Hébreux sont aussi des convertis mais de culture juive. Lorsque le christianisme naissant se répandra dans l'Empire à la faveur des voyages missionnaires de l'apôtre Paul, les convertis seront de plus en plus, non plus des juifs d'origine, mais des « grecs » n'ayant plus de culture juive mais dont certains se souviennent des nombreux enfants dont la paternité divine est plus ou moins sujette à caution. Ainsi Dionysos qui se prétend « Dios païs » » (Διὸς παῖς, fils de Dieu, traduit par fils de Zeus) mais dont le soupçon que sa mère, Sémélé, ait été en fait « séduite par un mortel quelconque et rejetait sur Zeus sa faute d'amour » est le sujet des Bacchantes d'Euripide. Les chrétiens appelleront Jésus « theos huios » (θεός υἱός, fils de Dieu) mais la préoccupation est la même : que celui qui prétend être « Fils de Dieu » le soit effectivement est de la plus grande importance pour les Grecs de l'époque classique comme pour les nouveaux convertis qui, cinq siècles plus tard, forment les premières Églises de culture grecque dont nos Églises européennes sont les héritières.

1 Le couple des futurs parents de Jésus est ainsi donné en exemple aux couples du XIVe siècle et l'intention de Ludolphe de Saxe est à la fois théologique et morale. Il continue d'ailleurs son explication en précisant qu'il fallait que celle qui avait été choisie pour « être la table où nous est donnée la viande », littéralement « l'incarnation », fut à la fois vierge, mariée et veuve, trois états « semblablement saints » nous dit-il, puisqu'en effet « les mariées reçoivent trente, les veuves soixante et les vierges cent ». C'est une référence directe à la parabole du Semeur dans l'Évangile de Matthieu (13, 13-23) : « Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la parole et la comprend ; il porte du fruit, et un grain en donne cent, un autre soixante, un autre trente ». Le rapport entre la parabole du Semeur et les états de célibat, mariage et veuvage peut nous semble légitimement étonnant mais, à l'époque de Ludolphe de Saxe, la culture du viol est une réalité. Les femmes pieuses, ou consacrées à Dieu, les moniales dans les couvents, n'étaient pas à l'abri de ce risque. D'où l'insistance de Ludolphe et des autres auteurs de manuels de piété sur la notion de virginité morale pour rassurer les femmes : leurs efforts pour une vie chaste et pure leur seraient comptés malgré le viol qu'elles pourraient subir.

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