Le mariage du jeune Tobie et de Sarra. Ragouël, père de Sarra, met la main droite de sa fille dans celle de Tobie; les deux fiancés lèvent la main gauche. De même que la fille de Jephté, Sarra porte une couronne d'or, pour signifier qu'elle préfigure Marie.
Tobie 7, 12-14 (traduction de La Bible liturgique)
12 Tobie répliqua : « Je ne mangerai ni ne boirai rien, tant que tu n’auras pas pris de décision à mon sujet. » Ragouël lui dit : « Soit ! elle t’est donnée en mariage selon le décret du Livre de Moïse ; c’est un jugement du ciel qui te l’a accordée. Emmène donc ta sœur. Car, dès à présent, tu es son frère et elle est ta sœur. À partir d’aujourd’hui elle t’est donnée pour toujours. Que le Seigneur du ciel veille sur vous cette nuit, mon enfant, et vous comble de sa miséricorde et de sa paix ! » 13 Ragouël appela Sarra, qui vint vers lui. Il prit la main de sa fille et la confia à Tobie, en disant : « Emmène-la : conformément à la Loi et au décret consigné dans le Livre de Moïse, elle t’est donnée pour femme. Prends-la et conduis- la en bonne santé chez ton père. Et que le Dieu du ciel vous guide dans la paix ! » 14 Puis il appela sa femme et lui dit d’apporter une feuille sur laquelle il écrivit l’acte de mariage, selon lequel il donnait Sarra à Tobie conformément au décret de la loi de Moïse. Après quoi, on commença à manger et à boire.
L'histoire de Tobie est inconnue de nos traditions protestantes. Le livre du même nom faisant partie de ce que l'on appelle les livres deutéro-canoniques, littéralement « du deuxième canon », le canon étant l'ordre des livres bibliques. Il s'agit de récit ne se trouvant pas dans la Bible hébraïque mais uniquement dans la traduction en grec que l'on nomme la Septante car réalisée par soixante-dix (septante) traducteurs. Pourtant cette histoire est bien plus présente dans la culture européenne qu'il n'y paraît au premier abord. Haendel et Haydn en ont fait des Oratorios, Chagall de magnifiques tableaux, Paul Claudel sa pièce Histoire de Tobie et Sara et Proust s'en servira également dans Sodome et Gomorrhe.
Pour comprendre en quoi elle intéresse la tradition catholique et pourquoi Ludolphe de Saxe fait de Sarra une préfiguration de Marie et donc, de son mariage avec Tobie, l'anticipation du mariage de Marie avec Joseph, il faut savoir que Tobie, conformément aux traditions de son temps quitte sa famille proche pour aller chercher une épouse dans la famille éloignée. Chez son oncle Ragouël, il tombe sous le charme de Sarra, la fille de ce dernier, or celle-ci est sous le coup d'une malédiction d'un ange malin, Asmodée, qui a fait mourir les sept hommes qui ont été successivement promis à Sarra, à chaque fois après la noce mais avant qu'ils se soient « approchés d'elle ». Sarra, bien que mariée sept fois, reste donc vierge.
Une image de la pureté
Et c'est cette virginité dans le mariage qui intéresse Ludolphe puisque ce sera l'objet de contestations majeures dès l'origine de l'Église, au temps de Ludolphe comme encore aujourd'hui, les protestants considérant que certes Marie était vierge à la naissance mais qu'il n'y avait aucune raison qu'elle le demeure. Nous verrons dans le prochain vitrail pourquoi il était important pour Ludolphe que Marie soit à la fois vierge, mariée puis veuve, toutes qualités déjà présentes chez Sarra. Heureusement pour Tobie et Joseph, le premier bénéficie de l'aide de son compagnon, Raphaël, lui-même un ange qui donnera à Tobie le moyen de guérir Sarra et par la même occasion de survivre à sa nuit de noces, tandis que Joseph mourra de sa belle mort.
Il y a dans l'évangile de Jean une autre femme qui a eu, non pas sept mais cinq maris, et, de plus, l'homme avec qui elle vit au moment de sa rencontre avec Jésus au bord du puit « n'est pas [s]on mari ». Il s'agit de la Samaritaine (Jean 4, 1-42) dont l'échange avec Jésus est autrement inspirant puisqu'il y est question de vérité, de manière de célébrer le culte divin et de vivre suivant l'Esprit plutôt que suivant la lettre des traditions religieuses, nationales ou sociales. Autrement dit de s'approprier de l'intérieur la vérité de l'Évangile car « Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l'adorent l'adorent en esprit et en vérité » c'est-à-dire conformément à ce que Dieu est lui-même. La manière dont nous incarnons ou pas notre foi, comment elle nous inspire, nous nourrit et nous fait grandir vers le bien, le beau, le vrai, le juste et le bon, qui sont autant de noms que l'on peut donner à l'Éternel en dit plus long sur qui est notre Dieu que toutes les confessions de foi. Nul ange avec la Samaritaine mais seulement celui qui a dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie ».
Roland Kauffmann
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