20 novembre Le sacrifice de la Vierge
Marie présentée au Temple. La Vierge, couronnée et nimbée, occupe le milieu du vitrail; elle est debout, sans doute sur une marche derrière l'autel; d'un côté ses parents, de l'autre le grand-prêtre en tenue d'évêque, la main droite étendue vers Marie, dans l'autre un bréviaire. La fête de la présentation de Marie est toujours célébrée de nos jours le 21 novembre, dans l'Église catholique romaine.
Une nouvelle fois, notre auteur ne se préoccupe pas du texte biblique. Les évangiles, nous l'avons dit, ne font aucune référence à l'enfance de Marie et paradoxalement, Ludolphe de Saxe est lui aussi très discret sur cet épisode de la présentation. Alors qu'il explique longuement le songe d'Astyage, l'arbre de Jessé ou le récit de la Table d'or (vitrail 14), il n'y consacre que trois lignes : « lors qu'elle avait seulement trois ans, ses parents […] la menèrent au temple et l'offrirent à l'évèque de la loi, afin qu'elle apprît lettres et qu'elle servît Dieu son créateur tous les jours de sa vie comme elle fît ».
Sans doute était-il surpris lui-même par sa propre audace de parler d'une femme, fût-elle Marie, qui nous est présentée comme instruite et éduquée. Privilège réservé en son temps aux seules filles de la très haute noblesse et dont l'exemple aurait pû donner de mauvaises idées à ses lecteurs. Il est bien plus à l'aise pour insister sur la consécration, c'est-à-dire la mise à disposition de Marie au service du temple. Cette idée des vierges consacrées est totalement absente de la pratique religieuse juive qui est strictement masculine. De tout temps, des espaces ont été réservés aux femmes dans l'enceinte du temple. Qu'il s'agisse du temple de Salomon ou du temple d'Hérode, il n'y a pas de vierge consacrée.
Une transposition culturelle et religieuse
Les vierges consacrées sont, par contre, nombreuses dans les cultes antiques. Ainsi dans l'Iliade, Cassandre, par exemple, est une vierge consacrée à Apollon dont elle tire d'ailleurs son pouvoir de prophétie. Le destin de Cassandre veut que personne n'écoute ses prophéties, notamment concernant un certain cheval de Troie… Les premiers chrétiens connaissaient cependant la pratique de la présentation de tout premier-né et de sa consécration à l'Éternel en souvenir de la libération d'Égypte. Tout premier-né doit être « offert », c'est-à-dire « sacrifié » pour le premier mâle du bétail et « racheté » pour le premier garçon d'une famille. Le rachat s'effectuant par le sacrifice d'un agneau (Exode 13, 11-16). Nous verrons que c'est dans cette intention que Jésus lui-même sera présenté au temple. Lorsque dans nos Églises chrétiennes, nous parlons aujourd'hui encore de « salut », de « rachat », d'« agneau pascal » offert pour racheter nos âmes, nous faisons référence à cette symbolique de la sortie d'Égypte pour entrer dans un monde nouveau sans plus nous en rendre vraiment compte.
La superposition des pratiques religieuses juives, grecques, égyptiennes et perses, puis leur transposition dans l'univers mental de l'Occident chrétien dans le but de remplacer les anciens cultes dits païens, tout en leur substituant des pratiques que l'on retrouve dans tous les systèmes religieux, est particulièrement manifeste dans nos vitraux. Pour les contemporains de Ludolphe de Saxe, toutes les religions précédant le christianisme sont des préparations à la venue du Christ. Et toutes leurs pratiques, leurs héros et leurs figures, sont autant de préfigurations de la foi chrétienne, de l'Église ou du Christ lui-même. C'est un point extrêmement important à retenir dans la compréhension de nos verrières puisqu'il ne s'agit plus de dénoncer l'erreur du paganisme et des cultes antiques en général mais au contraire de les réutiliser comme étant des anticipations de l'œuvre véritable de Dieu. C'est la notion de « préparation évangélique » formulée par Eusèbe de Césarée au IVe siècle qui se manifeste ici comme nous le verrons dans plusieurs de nos prochains vitraux.
Roland Kauffmann
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