Un vitrail par jour 12

19 novembre Le sacrifice de l'innocence

Jephté sacrifie sa fille. La victime, couronnée et agenouillée sur un autel. Son père lui tient les mains et lève sur elle un cimeterre à gros pommeau. La fille de Jephté porte une couronne d'or, bien qu'elle n'ait jamais régné, ni même fait partie d'une famille princière: c'est qu'elle est une préfiguration de la Vierge, laquelle est reine du ciel, des anges, des Vierges, etc.

Juges 11, 30-40

30 Jephthé fit un vœu à l'Éternel, et dit : Si tu livres entre mes mains les fils d’Ammon, 31 quiconque sortira des portes de ma maison au-devant de moi, à mon heureux retour de chez les fils d’Ammon, sera consacré à l'Éternel, et je l’offrirai en holocauste. 32 Jephthé marcha contre les fils d’Ammon, et l’Eternel les livra entre ses mains. 33 Il leur fit éprouver une très grande défaite, […]. 34 Jephthé retourna dans sa maison à Mitspa. Et voici, sa fille sortit au-devant de lui avec des tambourins et des danses. C’était son unique enfant ; il n’avait point de fils et point d’autre fille. 35 Dès qu’il la vit, il déchira ses vêtements, et dit : Ah ! ma fille ! tu me jettes dans l’abattement, tu es au nombre de ceux qui me troublent ! J’ai fait un vœu à l'Éternel, et je ne puis le révoquer. 36 Elle lui dit : Mon père, si tu as fait un vœu à l'Éternel, traite-moi selon ce qui est sorti de ta bouche, maintenant que l’Éternel t’a vengé de tes ennemis, des fils d’Ammon. 37 Et elle dit à son père : Que ceci me soit accordé : laisse-moi libre pendant deux mois ! je m’en irai, je descendrai dans les montagnes, et je pleurerai ma virginité avec mes compagnes. 38 Il répondit : Va ! Et il la laissa libre pour deux mois. Elle s’en alla avec ses compagnes, et elle pleura sa virginité sur les montagnes. 39 Au bout des deux mois, elle revint vers son père, Et il accomplit sur elle le vœu qu’il avait fait. Elle n’avait point connu d’homme. Dès lors s’établit en Israël la coutume 40 que tous les ans les filles d’Israël s’en vont célébrer la fille de Jephthé, le Galaadite, quatre jours par année.

Attention, cette scène est susceptible de heurter les âmes sensibles car ce n'est rien de moins que d'un sacrifice humain dont il est ici question et qui se trouve dans nos vitraux, non pour en dénoncer la monstruosité mais, au contraire, pour magnifier le sort fait à Marie.

Cette histoire de sacrifice humain en réponse à un vœu fait avant la bataille nous renvoie aux époques les plus archaïques de l'humanité. On a d'ailleurs peine à croire que l'Éternel, le Dieu qui a donné la Loi de libération à son peuple, puisse accepter d'une quelconque manière quelque chose d'aussi vain que la mise à mort d'un être humain et a fortiori de la propre fille de celui qui a commis cette stupidité. Pourtant la tragédie grecque et le cycle homérique nous racontent aussi nombre de ces sacrifices. Ainsi, Idoménée, roi de Crète rentrant de Troie, devant sacrifier son propre fils suite à sa prière d'être sauvé du naufrage. Mozart en fera un opéra. Mais c'est surtout Iphigénie, fille d'Agamemnon, chef de l'armée grecque, qui doit être sacrifiée pour que l'armée puisse poursuivre sa route. Dans ce cas, c'est la volonté des dieux et c'est une déesse, Artémis, qui remplace la victime par une biche.

La récurrence de ce thème dans les cultures bibliques, que l'on pense aussi à Abraham sacrifiant Isaac, et dans les cultures grecques contemporaines en dit long sur la manière dont les peuples antiques envisageaient leurs relations avec le divin comme un échange quasi commercial : « tu me donnes la victoire, je te donne ma fille ». Au regard de cette barbarie de Jephté, la réponse de sa fille est à l'inverse un acte d'acceptation et de foi en l'Éternel que son père a invoqué en vain. Elle est l'expression biblique de la liberté et de la dignité de l'innocence, celle d'Antigone, comme elle prête à mourir pour une haute idée de l'humanité malgré l'arbitraire de l'infamie du cœur des hommes.

Un Dieu comme un autre !?

Et Ludolphe de Saxe d'en faire à la fois la préfiguration et le contre-exemple du sacrifice consenti par Marie dans une série d'antithèses : « [la fille de Jephté] pleurait de rester vierge, Marie s'en réjouit ; de n'avoir pas de postérité alors que Marie allait avoir la plus belle qui soit ; d'être sacrifiée après la bataille, Marie de se donner pour la victoire sur les enfers ». La compréhension sacrificielle de la foi chrétienne est directement liée à ces racines antiques et à l'idée que le Dieu d'Israël est comme tous les autres dieux, ayant besoin de soumission et d'obéissance même au prix de la vie de l'innocent. Et Ludolphe de Saxe ne plaint pas la jeune fille qui perd sa vie, pour lui elle doit se réjouir de participer ainsi au grand dessein de l'Éternel.

Certes, Jephté est « troublé » et sa fille « pleure sa virginité » plutôt même que sa vie alors que Joachim et Anne sont heureux de donner leur fille pour la plus grande gloire de Dieu. Mais on est ici loin du Dieu d'Abraham refusant que celui-ci s'obstine dans la soumission aveugle. Quelle différence entre le Dieu d'Abraham qui pourvoit lui-même au sacrifice en sauvant l'enfant et celui de Jephté qui accepte l'inacceptable comme un vulgaire Olympien. Non pas que Dieu ait changé entre l'époque d'Abraham et celle de Jephté ou celle de Joachim et Anne ou encore la nôtre mais Jephté est l'exemple même de ce type de religion qui prête au divin la barbarie des hommes.

Quel qu'en soit le prétexte ou la raison, l'Inquisition ou le jihad, le tabou ou le blasphème, rien ne justifie la souffrance ni la mort. Aucun sacrifice, aucun meurtre, aucun mal, aucune douleur, jamais, ne peuvent être justifiés, exigés ou infligés au nom de Dieu, quelque soit le prétendu nom qu'on lui donne. La haine ne peut ni ne doit jamais se couvrir du nom de Dieu !

Roland Kauffmann

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