17 novembre – La nouvelle Ève
La naissance de Marie. La Vierge, la tête couronnée et nimbée, se tient debout derrière un meuble qui semble être un lit, et étend ses bras, que saisissent ses parents. Ceux-ci ont le nimbe, à l'encontre de ce que nous voyons dans les autres panneaux. Chose plus surprenante encore : Marie a, dès sa naissance, la taille d'une jeune fille adulte. Remarquons la robe verte de Marie alors que c'est le bleu qui est la couleur traditionnelle de la Vierge (pourtant utilisé sur la robe de Ève). La couleur verte évoque aujourd'hui l'espérance mais au Moyen-Âge elle évoque la croissance, ce qui est verdoyant et nous verrons plus loin que Marie est une fleur.
Les vitraux du temple visent au « merveillable » selon les termes du Speculum Humanae Salvationis et cette nativité de Marie ne déroge pas à la règle. Car l'enfant qui vient de naître est déjà grande, plus encore que ses parents. C'est en fait un bel exemple de la transmission iconographique entre les Églises d'Orient et d'Occident au courant du Moyen-Âge. En effet c'est une représentation habituelle de la nativité de Marie dans les églises byzantines datant de la même époque où l'on voit Marie soit être caressée par ses parents, soit faisant déjà ses premiers pas mais elle est toujours vêtue et toujours debout.
La raison en est bien sûr le caractère particulier de Marie. En tant que theotokos, Mère de Dieu, et conçue sans péché comme en atteste la « Porte close » (cf. vitrail 9 du 16 novembre) son corps se doit d'être impérissable. C'est en reine qu'elle doit être apparaître, à l'image de la dignité céleste. Anne et Joachim sont à ses côtés pour rappeller néanmoins qu'elle fut engendrée et le lit devant elle souligne la proximité de l'évènement et évoque déjà celui où nous retrouverons Marie lorsqu'elle donnera elle-même naissance à l'enfant. C'est ce que souligne le Speculum : « en la vierge Marie était la divinité, par laquelle nous est appareillée la montée aux cieux ». La vierge n'est pas une divinité pour Ludolphe de Saxe mais la divinité est en elle. Une conception largement partagée par les autres commentateurs médiévaux comme Pierre Lombard dans son Livre des Sentences.
Un besoin de consolation et de guide
Nous assistons avec nos vitraux à rien moins qu'à l'élaboration du culte marial, largement installé déjà dans la piété populaire mais qui s'établit théologiquement dans les livres de piété au courant des XIIIe et XIVe siècle. Alors que les Pères de l'Église avaient écarté les livres pseudo évangéliques donnant une trop grande importance à Marie, comme le Protévangile de Jacques le Mineur, le thème de la Mère de Dieu, bientôt médiatrice auprès de son Fils et de Dieu le Père, répond à un besoin spirituel lié à une époque de bouleversement, de maladies, de guerres et de bouleversements sociaux et politiques. Le monde de Ludolphe de Saxe, de Jacques de Voragine ou de Pierre Lombard est en train de changer. Le Dieu terrible et vengeur devient une figure insupportable et il faut l'adoucir par une figure féminine rappelant là encore les couples divins de l'antiquité gréco-romaine, lesquels étaient justement ce dont voulaient se prémunir les Pères de l'Église des premiers siècles y voyant bien les risques de résurgence du paganisme antique. Mais le besoin de consolation spirituelle est plus fort que ces considérations théologiques. Il faudra attendre les Réformateurs du XVIe siècle pour revenir aux conceptions anciennes et refuser à nouveau la dévotion mariale.
Marie est aussi un exemple qui doit conduire le croyant. Comme Ève était la mère des vivants, Marie est le guide des croyants, inaugurant ainsi une humanité nouvelle. Lorsque le Speculum évoque « l'appareillement », il ne s'agit pas d'un instrument au sens d'« appareillage » mais d'une ressemblance : « pareillement à elle nous pourrons monter aux cieux ». L'étoile qu'annonçait Balaam (cf. vitrail 6 du 13 novembre) vient de paraître : « c'est la très bienheureuse vierge Marie, la vrai étoile de mer [!], la singulière aideresse et conducteresse des flottants en cette mer. Sans cette étoile nous ne pouvons passer cette mer périlleuse, ni parvenir au port du pays céleste. Pour cette cause, Dieu préparait et décrivait la naissance de la vierge Marie par l'étoile car il disposait de nous conduire au royaume des cieux. » Cette dimension de guide spirituel dans l'intention du salut de nos âmes qui est l'objet du livre de piété qu'est le Speculum et avec lui nos vitraux va se déployer de manière encore plus explicite dans le prochain vitrail de nos verrières.
Roland Kauffmann
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