Samedi 22 mai 2021
LE CARAVAGE – 450 ANS
[…] Quaedam divina poetis
Vis animi est, veloque tegunt pulcherrima rerum,
Ambiguum quod non acies nisi lyncea rumpat,
Mulceat exterius tantum, alliciatque tuentes[…]
Les poètes ont une certaine force divine : ils voilent les plus belles choses d’une façon si ambiguë, qu’aucun œil, sauf celui du lynx, ne peut le percer. L’extérieur brille d’une telle manière qu’il attire – bannit les regards.
Raffaele ARGENIO
Jordi Savall: Lachrimae Caravaggio (Hespèrion XXI) - YouTube
Le Caravage, de son vrai nom Michelangelo Merisi, naît à Caravaggio en Lombardie en 1571. Très tôt orphelin de père il grandit au sein d’une famille aisée.
Il
entre en 1584 en apprentissage dans l’atelier du peintre Simone
Peterzano à Milan qu’il quitte au bout de quelques années. C’est
sans doute là qu’il acquière sa sensibilité pour le traitement
réaliste, caractéristique de l’école lombarde de l’époque.
En
1592 il part pour Rome et rejoint l’atelier du peintre maniériste
Cavalier d’Arpino où il est chargé de peindre des natures mortes
de fleurs et de fruits, motifs qu’il utilisera toute sa vie et qui
deviendront quasiment une marque de sa production artistique. Son
style se révèle et son talent se fait vite remarquer. N’ayant pas
les moyens de payer des personnes pour poser, il peint en se servant
de lui-même comme modèle. (Le Jeune Bacchus malade, par exemple est
un autoportrait). Ses tableaux rompent déjà avec la tradition
maniériste en proposant une lecture immédiate de l’image où le
sujet, prit sur le vif, est figé dans l’instant comme s’il avait
été “photographié“, concept visuel nouveau et inventé par le
jeune artiste.
Dans ses scènes présentant des personnages mythologiques, religieux ou traditionnels il s’écarte également de la manière de la renaissance en les représentants sous l’apparence de personnes “réelles“, telles qu’il les rencontre dans son quotidien : sans aucune idéalisation, souvent vêtues de façon contemporaine et suggérant des traits de caractère appartenant plus au modèle qu’au personnage représenté.
Caravage aborde ensuite la peinture de genre qui deviendra grâce à lui un des thèmes majeurs du XVIIe siècle. Son style arrive à maturité, portant l’héritage du maniériste pour la composition, de l’école lombarde pour le réalisme lié à l’utilisation de la couleur et de la lumière et de l’influence de peintres vénitiens tels que le Titien, Giorgione ou Lorenzo Lotto pour les ambiances intimes et nocturnes.
Si
l’anticonformisme en peinture au début du XVIIe
siècle consiste, sous l’influence des Carrache, à s’éloigner
du maniérisme en se rapprochant du modèle classique de Raphaël et
Michel-Ange, Caravage en propose un nouveau basé sur l’étude de
la réalité, tant au niveau du fond que de la forme, qu’il oppose
à l’étude traditionnelle du savoir. Ses personnages sont humains,
dans leur apparence autant que dans leurs émotions : la joie, le
courage, la volonté, la peur, la surprise, la violence, sont autant
d’attributs dont le Caravage pare ses personnages et offre à la
lecture du spectateur.
Tant de nouveautés ne lui confèrent
pas un accueil favorable de la part de la majorité des adeptes de
l’art mais il est néanmoins soutenu par un certain nombre,
conscient du génie de l’artiste. Il reçoit alors de nombreuses
commandes de la part de dignitaires religieux pour la décoration de
leur chapelle.
À partir de 1600 environ il peint ses plus grands chefs-d’œuvre et
commence à connaître la célébrité.
Néanmoins son
caractère agressif et coléreux finit par jouer en sa défaveur.
Caravage est un homme violent, il se bat régulièrement, séjourne
quelquefois en prison, et va même jusqu’à tuer. Il aime
s’habiller à la manière des riches, et même si ses vêtements
sont déchirés cela ne fait qu’ajouter à son goût de
l’exubérance et de la provocation.
Contraint de partir de
Rome pour fuir des représailles à la suite d’un meurtre en 1606,
il mène alors une vie d’errance. Il se réfugie à Naples où il
continue à peindre pour des commanditaires privés.
lI part ensuite à Malte en 1608 où le Grand Maître de l’Ordre de Malte le fait Chevalier en hommage à son talent. Il en est vite renvoyé, en raison d’une altercation grave avec l’un des membres de l’Ordre. Il s’évade de prison et part pour la Sicile jusqu’en 1609. Il décide ensuite de revenir en Italie où le pape aurait abandonné les poursuites à son égard et lui aurait pardonné.
C’est sur le chemin du retour, en Toscane, qu’il trouve la mort à l’âge de 39 ans. L’on ne sait pas s'il a succombé à une fièvre alors qu’il traversait des marais sur la route de Rome ou si d’anciennes connaissances ont su profiter de son retour pour se venger d’affronts passés.
Le Caravage aura laissé aux générations suivantes un héritage artistique des plus importants. Il a non seulement rompu avec la manière de son époque mais il a surtout permis à l’art de prendre une direction nouvelle. Si Giotto et Masaccio qui ont permis l’évolution de l’image gothique à la renaissance, Caravage a inventé une grammaire et un vocabulaire pictural entièrement nouveaux qui serviront de base à la peinture baroque dans un premier temps mais également à tous les mouvements des siècles à venir dont l’objectif sera de rendre en image la vérité telle qu’on la voit et de l’interpréter avec toute la force de la passion mais sans aucun compromis. Si les générations futures ne seront pas exemptes de grands génies, il faudra attendre la fin du XIXe siècle avec Cézanne pour retrouver un artiste capable de remettre à ce point l’art en question et proposer un langage radicalement différent.
Matthieu Denni
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