Un vitrail par jour 36

13 décembre – La précarité de notre condition humaine

Le retour de l'enfant prodigue PATER FAMILIAS SILIUS PRODIGUS. Le père porte la coiffure conique des Juifs. Le fils est presque nu. Derrière lui, arrive un serviteur, qui lui apporte à boire et à manger

Luc 15, 11-24

11 Un homme avait deux fils. 12 Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de bien qui doit me revenir. Et le père leur partagea son bien. 13 Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, où il dissipa son bien en vivant dans la débauche. 14 Lorsqu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin. 15 Il alla se mettre au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya dans ses champs garder les pourceaux. 16 Il aurait bien voulu se rassasier des carouges que mangeaient les pourceaux, mais personne ne lui en donnait. 17 Étant rentré en lui-même, il se dit : Combien de mercenaires chez mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! 18 Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, 19 je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ; traite-moi comme l’un de tes mercenaires. 20 Et il se leva, et alla vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion, il courut se jeter à son cou et le baisa. 21 Le fils lui dit : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. 22 Mais le père dit à ses serviteurs : Apportez vite la plus belle robe, et l’en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt, et des souliers aux pieds. 23 Amenez le veau gras, et tuez-le. Mangeons et réjouissons-nous ; 24 car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir.

« Notre Père… » le début de la prière commune à tous les chrétiens depuis les premiers temps de l'Église est une reprise de la formule traditionnelle hébraïque et Jésus, lorsqu'il raconte cette parabole, sait parfaitement que ses auditeurs feront immédiatement le parallèle entre le père/Dieu et le fils/l'homme. C'est d'ailleurs le génie des paraboles que d'être d'une simplicité que l'on peut qualifier de « biblique ».

À l'inverse de ceux qui aujourd'hui encore aiment souligner la complexité de l'interprétation des textes, évoquent leur signification symbolique uniquement accessible à ceux qui en détiennent les codes, autrement dit aux clercs, prétextant la complexité pour maintenir leurs auditeurs dans une situation d'infériorité, Ludolphe de Saxe ne s'encombre pas de fioritures. Et fidèle à sa méthode de l'analogie typologique, il en tire la conclusion simple qu'il n'est jamais trop tard pour revenir à Dieu dans une repentance sincère. Le fils, c'est chacun d'entre nous ; le propriétaire des pourceaux, c'est le diable que nous enrichissons chaque jour de nos vains efforts et le père, c'est l'Éternel qui fête le retour de celui qui retrouve le vrai sens de l'existence.

Loin de l'idée du Dieu de colère et de condamnation à laquelle nous associons souvent la théologie médiévale, la représentation qu'en donne le Speculum Humanae Salvationis insiste explicitement sur la clémence divine qui peut s'exercer de deux manières : soit, comme pour le fils dans sa fange, par un retour sur soi, ce que Ludolphe appelle « inspiration paternelle » soit par la « prédication salutaire », c'est-à-dire par le ministère des Dominicains, l'ordre prêcheur dont il fait partie. Mais ce qui est instructif pour l'histoire de la théologie, c'est que dans les deux cas, c'est Dieu qui est à l'initiative. Notre auteur insiste ici fortement sur la notion de « grâce prévenante » alors que dans le cas de Marie-Madeleine (vitrail 35), c'est la contrition de Marie-Madeleine qu'il donne en exemple. Celle-ci espère le pardon tandis que le fils rentre à la maison sans rien espérer d'autre qu'un juste châtiment et quelque aumône. Le fils est son propre juge et n'attend qu'une subsistance de misère.

Une clémence dont nous sommes les sujets

Les deux exemples ne s'excluent évidemment pas dans l'esprit de notre auteur du XIVe siècle. Au contraire, ils lui servent à décrire les diverses modalités du pardon et de la clémence divine mais en insistant à chaque fois sur l'accueil inconditionnel de Dieu pour celui qui est dans la précarité. Le terme même de précarité vient de precare, et signifie dans la littérature gréco-romaine, le simple fait de prier. L'attitude fondamentale des anciens, qu'ils fussent Juifs ou Grecs était de se considérer face à Dieu, ou aux dieux, comme des « suppliants ». Une attitude loin de celle qui est parfois la nôtre quand nous considérons la prière comme une commande devant satisfaire notre attente.

Le retour du fils prodigue, Rembrandt, copie, église Sainte-Geneviève, Mulhouse

 

 

 

 

 

 

 

 


La préoccupation du père pour le fils et son accueil inconditionnel doivent aussi nous inspirer lorsque nous sommes confrontés aujourd'hui à la précarité. La dignité d'une société se révèle dans la réponse qu'elle apporte à la situation des précaires, qu'il s'agisse de précarité économique, fragilité psychologique ou sociale. Elle peut soit les laisser à peine survivre en les renvoyant à leur propre responsabilité de s'être mis dans cette situation comme aurait, à bon droit, pu le faire le père de notre parabole. Elle peut aussi partager l'abondance et restaurer le précaire dans la condition qu'il n'aurait jamais dû quitter. Restaurer le précaire dans sa condition de citoyen, restaurer celui qui nous a fait du mal dans sa condition de frère, c'est-à-dire être dans la même attitude que le père de notre parabole et exercer en toute chose la clémence et la miséricorde, en sachant bien que nous sommes tous dans cette situation de précarité devant l'Éternel, voilà bien le projet éthique de nos vitraux.

Roland Kauffmann

Voir aussi notre méditation sur le Notre Père lors du premier confinement

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