L'idole d'Égypte, qui représente une Vierge portant un enfant. Une femme couronnée, debout, tient devant son giron un enfant debout qui porte dans chaque main une fleur de lys, signe de reconnaissance attribué à Marie dans l'iconographie chrétienne. À droite et à gauche, deux colonnettes basses, portant chacune trois cierges allumés. C'est la statue que les Égyptiens auraient adorée au fond de leur temple, avant l'arrivée de la Vierge et de son Fils.
Ésaïe 7, 14-16
14 C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe, Voici, la jeune fille deviendra enceinte, elle enfantera un fils, Et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. 15 Il mangera de la crème et du miel, Jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien. 16 Mais avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays dont tu crains les deux rois sera abandonné.
Tout à sa logique de défense et illustration de la doctrine chrétienne, notre auteur médiéval reprend à son compte une légende qui n'est pas biblique mais largement reprise par les Pères de l'Église, à savoir que le prophète Jérémie lors de son exil forcé en Égypte après la chute de Jérusalem aurait annoncé aux Égyptiens la naissance d'un dieu né d'une vierge, lequel serait plus puissant que tous leurs dieux réunis. Par précaution, les Égyptiens se seraient empressés « d'entailler l'image d'une vierge qui tiendrait un enfant et auquel ils rendraient les honneurs divins » et notre artisan verrier de s'empresser de donner un aspect marial à cette image en y ajoutant les attributs de Marie que nous avons déjà rencontrés à plusieurs reprises, comme les lys, la couronne et les chandelles.
L’égyptologie n'était évidemment pas connue au XIVe siècle et Ludolphe de Saxe n'a aucune intention de se livrer à une étude comparée des religions. Son intention est bien de montrer la suprématie du Christ sur toutes les autres représentations du divin dans le monde et cependant, dans la logique de la « préparation évangélique », il considère que les religions antiques contiennent des éléments qui préfigurent l'évangile. Il lui importe donc de montrer à ses lecteurs que l'enfant arrivant en Égypte est là aussi attendu puisqu'un culte, évidemment secret, lui aurait été rendu depuis l'époque de Jérémie au VIIe siècle avant sa venue.
La déesse de la fécondité
Les Égyptiens n'avaient évidemment pas attendu Jérémie ni la vierge Marie pour rendre un culte au principe de fécondité représenté par le couple d'Isis et d'Horus, le dieu à tête de faucon, fils d'Osiris. Aujourd'hui, encore les touristes peuvent admirer l'effigie d'Isis et d'Horus dans le temple de Louxor. On peut aussi en admirer une au Louvre, l'enfant Horus (à visage humain) est assis sur les genoux de sa mère qui l'allaite. Il y a tout lieu de penser que la légende de l'annonce de Jérémie aux Égyptiens a été entretenue par les communautés juives d'Alexandrie qui en faisaient un sujet de fierté par rapport à leurs coreligionnaires de Palestine. Les premières communautés chrétiennes d'Égypte ont repris ensuite cette tradition qui, de commentateurs en commentateurs, se retrouve figurée dans les vitraux de l'église paroissiale de Mulhouse !
Isis est la déesse de la fécondité et des récoltes, divinité agraire, essentielle pour des cultivateurs. Son culte est « à mystères », comme le sera à son tour celui rendu de Déméter, dont les Mystères célébrés à Éleusis étaient scrupuleusement tenus secrets par les initiés. Une dimension ésotérique, c'est-à-dire « secrète » comme le veut la légende de Jérémie, qui sera reprise par la franc-maçonnerie et plus largement par le grand mouvement poétique du romantisme. Goethe, Novalis ou Schiller feront d'Isis un contre-point au christianisme, sans oublier Mozart et La Flûte enchantée. Pour Kant, Isis est la représentation même de la Mère Nature et il ne cache pas son admiration devant l'épitaphe qui, selon Plutarque, ornait le tombeau d'Isis à Saïs : « Je suis tout ce qui fut, ce qui est, ce qui sera et aucun mortel n’a encore osé soulever mon voile ». Une inscription dont la première partie est évidemment en lien direct avec le nom que l'Éternel lui-même se donne au buisson ardent (vitrail 18) et le voile de l'épitaphe fait référence à l'aspect caché de son culte.
Une attente de prospérité
Déesse des blés, Isis/Déméter, donne son nom au célèbre château d'Isembourg à Rouffach et serait également à l'origine du nom du village d'Issenheim. Autant d'invocations divines visant à apporter la prospérité dans une culture profondément agricole en demandant la bénédiction des dieux des profondeurs de la terre nourricière.
L'analogie Isis/Déméter/Marie renvoie à cette dimension religieuse archaïque (au sens de primordiale) profondément ancrée dans nos mentalités depuis le néolithique et que l'on retrouve aujourd'hui dans les théologies naturelles ou dans celles qui font de la sauvegarde de la création le grand sujet de leur foi. Les préoccupations écologiques et environnementales doivent évidemment être au cœur de notre action dans la société mais il est bon de se rappeler que derrière les « Églises vertes » et autres communions avec la Nature, se cachent les cultes anciens, même s'ils ont un vernis chrétien. Des cultes qui ont en commun leur aspect « chtonien », c'est-à-dire en relation avec les puissances d'en-bas, cachées, infernales, ce qui pour les Grecs n'avait évidemment pas la dimension négative que le christianisme a donné à ce qui était le royaume d'Hadès pour les Grecs et de Seth pour les Égyptiens. Mais les premiers philosophes, dès avant Socrate, voyaient en ces « Mages, bacchants, bacchantes, initiés » avant tout des « errants dans la nuit ».
Ludolphe de Saxe n'a évidemment aucune conscience de ces correspondances, il ne voit que la préfiguration du Christ et sa victoire sur les ténèbres, dans l'esprit du prophète Ésaïe dont l'annonce que nous reprenons à chaque Noël, l'annonce d'Emmanuel, est avant tout un renversement du pouvoir du « pays dont tu crains les deux rois [l'Égypte] ». Peut-être que notre attente de l'Emmanuel, c'est-à-dire de la présence de Dieu avec nous, peut quant à elle, se faire en pleine conscience de ces multiples dimensions de la foi.
Note : Le temple Saint-Étienne est le territoire d'élection d'un couple de faucons pèlerins, certains malicieux y voient un clin d'œil d'Horus…
Roland Kauffmann
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