La Mémoire perdue

La Mémoire perdue, Francis O'Gorman, trad. Vincent Dupont, Éditions du Rocher, Idées, Monaco, 2020 (Forgetfulness, Bloomsbury, 2017)

Compte-rendu de Roland Kauffmann

Version courte - version longue

C'est peu dire que l'avenir a mauvaise presse aujourd'hui dans nos sociétés occidentales, assaillies de toutes parts par la dissolution de l'idée de progrès et de toute vision positive de l'avenir. Alors que la pandémie de la Covid-19 passe pour une répétition générale de ce qui nous attend avec les trois menaces que sont l'effondrement de la biodiversité, le réchauffement climatique et les prochaines zoonoses, le discours dominant d'un retour à la croissance comme unique solution à la crise ne fera qu'aggraver encore la situation.

Dans ce contexte, l'ouvrage de Francis O'Gorman est essentiel par sa dimension de plaidoyer pour un retour à l'intelligence du passé, non plus tant pour nous aider à comprendre notre présent, mais pour lui-même. En effet, l'auteur, professeur de littérature anglaise à l'université de Lancaster (GB), revendique l'idée que l'histoire n'ait pas de sens. Autrement dit qu'elle n'est pas « le récit d'une progression […] orientée vers un but » (p. 84). Mais qu'au contraire, il importe d'aller à la rencontre de l'histoire comme en terre étrangère, c'est-à-dire conscients de nos biais cognitifs qui nous incitent à lire l'histoire avec nos concepts contemporains qui sont eux-mêmes les résultats de processus historiques dont nous n'avons pas, ou plus, conscience.

Nous vivons dans un monde où l'oubli est devenu une véritable forme d'organisation sociale et culturelle dans la mesure où la logique, (la religion ?), de la croissance, par définition indéfinie et infinie oblige à un dénigrement du passé et à une surévaluation du futur, aujourd'hui est mieux que hier et moins bien que demain. Ce processus de « fabrique de l'oubli » remonte selon l'auteur à la révolution chrétienne de l'Antiquité et s'est poursuivi jusqu'au post-modernisme contemporain. Et paradoxalement revient à être une sorte d'éternel présent puisque le futur lui-même est en réalité un futur déjà en voie de devenir du passé.

Retrouver le sens du passé et considérer celui-ci, non plus en fonction de son antériorité par rapport à nous, ni en tant que prémices ou anticipation du présent mais bien pour connaître et comprendre ses réalisations en tant qu'elles n'ont pas disparu mais continuent à nous constituer aujourd'hui. Plutôt que du passé faire table rase, il vaut mieux le connaître pour, dans le cadre d'une délibération démocratique, en faire, non pas l'inventaire patrimonial ou muséal, mais l'actualiser pour en faire un avenir désirable.

C'est à ce programme revigorant et décisif qu'invite l'ouvrage de Francis O'Gorman dont on ne peut que recommander la lecture de façon à faire le point sur ce qui constitue nos identités contemporaines.

Roland Kauffmann, juin 2020

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire