Protestantisme alsacien et nazisme: une analyse manquée.

L'ouvrage de Michel Weckel qui a défrayé la chronique du tout petit monde protestant alsacien est difficile à comprendre et analyser. Non qu'il soit écrit dans un style difficile, trop scientifique ou trop érudit, c'est bien plutôt l'absence de style, de méthode scientifique et d'érudition qui en rendent l'abord difficile. 

Hésitant entre le genre de l'introspection, l'enquête ou le pamphlet, Michel Weckel nous raconte sa difficulté à être fils d'agriculteur d'Alsace du Nord et sa fascination pour les "yeux d'ambre" d'une guide polonaise à Auschwitz-Birkenau dont la chaleur lumineuse l'a réconcilié avec l'humanité et convaincu de la vérité existentielle de son propre dégout de soi. 

C'est beau mais qu'est-ce que cela a à voir avec son sujet, à savoir l'adhésion au nazisme de certains pasteurs et responsables de l'Église luthérienne durant la seconde guerre mondiale ? Rien et pourtant c'est le "style" de l'auteur que d'entremêler des considérations personnelles, des sentiments et des intuitions avec des affirmations liminaires et définitives. Comme si la vérité intime des unes, qui appartiennent à l'être propre de l'auteur, était garante des autres. 

Quant à la méthode scientifique, il est certes aimable d'utiliser des "mémoires" d'étudiante en terminale (!) et des entretiens avec des universitaires mais à force de vouloir donner la même légitimité à toutes les confidences faites par des pasteurs en retraite et à vouloir faire croire que "tout le monde savait", on finit par niveler la pertinence des propos des uns et des autres et le lecteur ne sait plus distinguer entre ce qui relève du fait ou de l'opinion. Quant à la manière de suggérer que jusqu'à aujourd'hui seul "un petit nombre de théologiens et d’ecclésiastiques, (…) quelques chercheurs et universitaires" savaient réellement en raison du "silence entretenu par les directions d'Église" (p.156), elle ressemble fort à celle des complotismes contemporains.

Pour ce qui est de l'érudition, heureusement que les encyclopédies en ligne existent pour permettre de combler certaines ignorances. On suit avec un intérêt tout relatif les échanges de courriels entre l'auteur et la directrice de la médiathèque protestante qui seraient caractéristiques de "l'euphémisation" de la position de Luther envers les Juifs (p.103-102). Comme les "découvertes" de l'auteur sont égrenées tout au long des 23 chapitres, le lecteur a l'occasion de se familiariser avec elles puisqu'elles sont répétées sans cesse.

L'inconvénient de ce genre d'ouvrages qui prétendent "ouvrir et alimenter le débat" (p. 182) est précisément de poser le débat dans des termes qui le rendent impossible. Puisque le "récit" raconte ce que les uns et les autres ont fait, sans jamais entrer dans les raisons qui ont pu pousser, par exemple, les autonomistes alsaciens des années 30 à saluer l'arrivée des troupes allemandes et que du récit au jugement, il n'y a qu'un pas, vite franchi, pourquoi aller plus loin et entrer dans la complexité historique ?

Fruit du complexe alsacien, tiraillé entre des "ambiguïtés, un entre-deux et des ambivalences" (p.137) dont il ne creuse justement pas les raisons historiques, l'auteur expose un sentiment de mal-aimé. Sentiment qu'on ne peut nier puisque c'est son intimité mais que l'on doit critiquer quand il tend, qu'il le veuille ou non, à généraliser à l'ensemble de l'institution, des pasteurs et du luthéranisme dont le principe même serait la soumission et l'obéissance à l'État. En reprenant à son compte la différence de mentalité entre les protestants français et les protestants luthériens, les premiers étant rebelles par définition car forgés par la résistance à l'ordre royal et les seconds n'ayant "pas tellement à s'occuper des affaires du monde" (chap. 13 Register), l'auteur confond surtout les causes historiques et théologiques. Pour le dire trop vite (mais c'est ainsi que le lecteur peut le comprendre) : les réformés français étaient évidemment de courageux "Justes parmi les Nations" alors que les luthériens alsaciens étaient cette "masse silencieuse, faisant profil bas" quand ils n'étaient pas des nazis convaincus.

À force de raccourcis, qui évitent de se poser la question de savoir ce que l'on aurait fait si l'on avait été confronté à de tels évènements, en sautant allégrement d'une guerre mondiale à l'autre et du XIXe siècle à nos jours mais aussi en suscitant une forme de suspicion sur la connivence entre "grandes familles luthériennes", l'ouvrage assombrit plus qu'il n'éclaire le débat par son manque de rigueur méthodologique et sa complaisante analyse psychanalytique. Le dégout de soi, de la culture d'Alsace du Nord et du luthéranisme transpire trop à chaque page pour que le débat souhaité puisse s'installer sereinement. Il faudra sans doute attendre le colloque « Le protestantisme et les pasteurs alsaciens-mosellans entre 1940 et 1945 » qui aura lieu à Strasbourg les 16 et 17 novembre 2023 pour avoir de véritables références sur la question.

Roland Kauffmann, pasteur, Saint-Étienne Réunion, Mulhouse

Ces protestants alsaciens qui ont acclamé Hitler. Enquête sur les secrets de famille du réseau luthérien, Michel Weckel, La Nuée Bleue, 2022, 198 pp. 22€

 


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