Frère et sœur ou la force de la haine

Frère et sœur, un film de Arnaud Desplechin avec Marion Cotillard, Golshifteh Farahani, Melvil Poupaud

Pour qui parvient à s'extraire des clichés d'une certaine bourgeoisie parisienne (que l'action se déroule à Roubaix ne change rien à l'affaire tant toutes les cases de la bien-pensance sont cochées) et malgré les relents de règlements de compte personnels qu'il laisse imaginer, le dernier film de Arnaud Desplechin touche néanmoins juste dans sa description des ravages de la jalousie.

Car c'est bien au jeu de la rivalité permanente que se livrent le frère et la sœur, l'un tirant son succès d'écrivain du dénigrement systématique de sa sœur, actrice adulée, l'autre effaçant purement et simplement son frère de son existence. D'une enfance où l'un, Louis, aura continuellement été renvoyé à son insignifiance tandis que Alice aura perpétuellement trôné sur les espérances de ses parents, surgissent des adultes désemparés, incapables de prendre leur envol sans se brûler réciproquement les ailes. Comme s'il fallait que l'un meure pour que l'autre vive.

C'est d'ailleurs autour de la mort que va se jouer le drame. La mort des parents d'Alice et Louis qui ne permettra même pas la réconciliation, la tombe devenant l'ultime champ de bataille d'une guerre de positions inexpugnables. La mort de Louis qui n'a pas le courage de se jeter du haut de l'immeuble, tout ange déchu qu'il est, la mort d'Alice qui à force de cachets se perd dans les coulisses de sa propre vie, la mort qu'elle joue au théâtre chaque soir, la mort de la jeune fille accidentée qui n'est qu'un prétexte ou pire encore la mort du fils de Louis qui nous fait entrer par effraction dans un drame familial dont on croît qu'il est celui des Atrides mais se révèle d'une banalité triste à pleurer. 

Car, et c'est justement là que Desplechin touche juste, la jalousie n'a pas besoin de raisons. On peut se demander à juste titre ce que telle ou telle scène vient faire dans le déroulement du récit, qu'est-ce qu'elle explique ou si elle illustre mieux le propos du film, on ne comprendra jamais vraiment pourquoi Alice et Louis se détestent tant et pourquoi ils peuvent se réconcilier aussi facilement au lit (drôle d'endroit pour une réconciliation entre frère et sœur !) dans une quasi nudité originelle. 

Il aura suffi que Alice découvre que son frère a du talent, et peut-être plus qu'elle, pour que dans un souffle et un sourire, elle lui glisse "je te hais" avec cette facilité déconcertante qui existe parfois entre deux êtres qui vivent dans le même univers. Et de ces simples mots basculent leurs vies. 

Cette tension dramatique aurait été sans doute mieux servie sans les outrances des personnages à moins qu'elles ne servent justement à montrer à quel point la haine de l'autre les empêche d'aimer les autres. Que Louis déverse sa hargne sur le fils d'Alice, que celle-ci s'enrage contre un brave pharmacien qui n'en peut mais, tout cela ennuie le spectateur mais souligne l'immaturité de ces éternels enfants pour qui amis, amants, et même cette fan roumaine sans papier sans cesse renvoyée à sa nuit et son dénuement, ne paraissent être que des ombres sans saveur. 

L'irrationnel de la jalousie et son cortège de haines recuites sans explications ni logiques sont trop courantes pour que Desplechin ne nous touche pas mais on aurait aimé plus de profondeur et de constance dans le propos. Ainsi, la (vrai ou fausse ?) piste de l'inceste, largement soulignée par le passage biblique du Lévitique lu à la synagogue (forcément, puisque l'ami psychiatre est forcément juif…, de l'art d'enfiler les poncifs, de même qu'il fallait bien un petit frère homosexuel et un fils manifestement non genré) interdisant de "révéler la nudité de sa sœur, de son père, de sa mère, de son frère" et l'effacement de l'un et de l'autre, Louis redevenant professeur, (forcément à la Dead Poets Society) et Alice arrivant enfin au Royaume du Dahomey (!, là aussi sans pourquoi ni raison) sont typiques d'une fin ratée pour un film qui ne sait pas vraiment ce qu'il voudrait dire.

Pour le groupe Pro-Fil de Mulhouse,

Roland Kauffmann

 

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