"Je dois avancer vertical et vital"

Cet aphorisme de Ralph Waldo Emerson est au cœur du récent ouvrage de la philosophe spécialisée en communication d'entreprise Sophie Chassat. Ce sont aussi Friedrich Nietzsche ou Georges Canguilhem qui forment le socle de ce nouveau vitalisme digne de Bergson. 

Faisant la distinction entre ce qu'elle désigne comme "biophore" et "biocide", autrement dit entre ce qui "soutient et encourage la vie" et ce qui "la restreint, l'étouffe et la contraint", l'auteure propose un constat lucide de toutes les raisons que nous pouvons avoir de désespérer tant le sentiment de l'absurde de l'existence ou encore de l'absence de direction de nos sociétés, au sens d'absence de "raison d'être", tant pour nos destins individuels que collectifs est une évidence. 

Le "vague à l'âme contemporain" qui est son sujet d'examen est sans conteste le fruit de nos sociétés sans transcendance mais au moins, à l'époque d'Albert Camus, la volonté de changer le monde tenait lieu de projet collectif faisant corps avec l'idée de progrès.

C'est sans doute là que se trouve la grande différence entre notre époque et la modernité qui pensait que l'avenir se confondrait avec le progrès. Force est aujourd'hui de constater que le progrès, qu'il soit technologique, culturel ou social, n'est pas partagé. À l'intérieur du village global qu'est devenu le monde, nous ne vivons pas aux mêmes époques. Quoi de commun entre la sociale démocratie scandinave et la déliquescence sociale des Philippines ? Au sein même de nos sociétés, quoi de commun entre les tenants d'une identité rance et ceux d'une identité toujours en mouvement et ouverte à la diversité ?

 "La mort des mythes et des symboles n'est pas juste anecdotique, elle a pour conséquence un immense désarroi (…) et c'est là une des causes du désenchantement du monde et de l'épuisement psychique collectif qui en résultent" (p.100-101).

Retrouver un récit commun car il ne s'agit pas de retrouver son élan vital tout seul mais avec d'autres, dans le cadre d'un projet politique et social qui dépasse nos intérêts catégoriels ou personnels; être digne des droits qui sont les nôtres car "l'élan vital est un devoir, une éthique que l'on se doit" (p.174); en résumé "avancer vertical et vital": se tenir droit, c'est-à-dire intègre, honnête et vrai, enraciné dans une conviction et une intention et, en même temps trouver collectivement une "raison d'être" qui répond à la prière du Notre Père où le "pain quotidien" n'est pas seulement le pain de tous les jours mais surtout le "pain vital" au sens de nécessaire pour vivre. Quelle autre métaphore que le pain pour transposer la prière et se dire avec Sophie Chassat: "Donne-nous de trouver le sens de notre existence" ? 

Une invitation humaniste digne de Vladimir Jankélévitch: "Noblesse oblige et engage. (…) L'homme a les devoirs de ses droits en ce sens que d'avoir un droit lui crée l'obligation de l'exercer et de s'en montrer digne et d'être en tout à la hauteur de son propre pouvoir; mais il n'a pas le droit de ses devoirs, le devoir ne donnant droit à rien. Sa dignité impose à l'homme une responsabilité et lui crée des devoirs" (Traité des Vertus, Bordas, 1949, p.405). 

Une invitation joyeuse et revigorante à mettre en toutes les mains sans modération.

Élan vital. Antidote philosophie au vague à l'âme contemporain, Sophie Chassat, Calmann Lévy, 2021, 224 pages, 17,50€

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