Un vitrail par jour 39

16 décembre – La fin du monde

Jérémie pleure le triste sort de Jérusalem: IEREMIAS FLEVIT SUPER IERUSALEM. Le prophète apparaît à mi-corps derrière les créneaux de la ville

Lamentations 1, 1-3

1 Eh quoi ! Elle est assise solitaire, cette ville si peuplée ! Elle est semblable à une veuve ! Grande entre les nations, souveraine parmi les états, Elle est réduite à la servitude ! 2 Elle pleure durant la nuit, et ses joues sont couvertes de larmes ; de tous ceux qui l’aimaient nul ne la console ; Tous ses amis lui sont devenus infidèles, Ils sont devenus ses ennemis. 3 Juda est en exil, victime de l’oppression et d’une grande servitude ; Il habite au milieu des nations, Et il n’y trouve point de repos ; Tous ses persécuteurs l’ont surpris dans l’angoisse.

Les pleurs du Christ sur Jérusalem répondent à ceux du prophète Jérémie lors de la destruction de la ville par les Babyloniens et le déportation d'une partie de sa population au début du VIe siècle avant notre ère (597 pour la déportation et 586 pour la destruction du temple). Et de même que Jérémie ne pleure pas seulement sur son propre sort, le Christ pleure sur la destruction de la ville par les Romains, en 70 de notre ère. Destruction qui conduira à la dispersion du peuple d'Israël sur toute la terre.

Lorsque le Christ annonce la destruction du temple (Luc 21, 5-38, Matthieu 24, 1-5 et Marc 13, 1-37), il annonce en même temps son retour et l'Église des premiers temps prendra cette prédiction au pieds de la lettre, reprenant la tradition de l'apocalyptique des prophètes que l'on retrouvera ensuite avec le livre de l'Apocalypse attribué à Jean. Le fait que la destruction effective de la ville n'ait pas été suivie par le retour du Christ en gloire a entraîné la théologie sur le terrain de l'interprétation symbolique. Il est patent que les premiers disciples y croyaient réellement comme ils ont crû littéralement à la parole de Jésus : « cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive » (Luc 21, 32). Les apôtres également en étaient convaincus jusqu'à aujourd'hui où certains chrétiens fondamentalistes continuent de voir dans les signes des temps l'annonce de la destruction définitive de toute existence en même temps que l'enlèvement des chrétiens.

La fin du monde est toujours pour demain

Les causes possibles de la fin du monde sont nombreuses : guerre nucléaire, bouleversement climatique, maladies nouvelles, expansion démographique ou vieillissement de la population, météorite géante, pollution généralisée, crise économique, politique et sociale. Jamais sans doute dans l'histoire de l'humanité, la possibilité de la fin n'aura-t-elle été si proche. Et pourtant, notre Speculum Humanae Salvationis a été rédigé au courant du XIVe siècle, vraisemblablement dans la première moitié du siècle, époque marquée par la Peste noire qui entre 1347 et 1352 tue près de la moitié de la population européenne. La peste succédant à la grande famine du début du siècle (1315-1317), il aurait été très facile pour notre auteur d'avertir ses lecteurs et ses contemporains sur le retour final du Christ qui aurait délivré l'humanité souffrante de ses chaînes. En bref, il aurait largement pu faire fond sur les malheurs de son époque pour convaincre de la nécessité d'un retour à Dieu.

Or, il n'en fait rien. Plutôt que d'ajouter au catastrophisme de son temps et de se joindre aux Lamentations de Jérémie et des contempteurs de la modernité, ou de désigner des boucs émissaires comme d'autres le faisaient en son temps (au hasard, les juifs évidemment), c'est à la compassion et au pardon des péchés qu'il incite ses lecteurs à l'exemple de Jérémie. De même que Jérémie et Jésus pleurèrent sur les souffrances du peuple, « Ainsi devons avoir compassion tant de nos mauffaitteurs [ceux qui nous font du mal], comme de nos amis, à l'exemple de Dieu qui eut compassion de ses ennemis. Il est impossible que celui ne déserve [ne mérite] la miséricorde et grâce de notre Seigneur qui de tout bon cœur a compassion et merci de celui qui souffre de l'adversité ».

Peu importe pour notre auteur de savoir si la fin du monde est proche ou pas ! Ce qui lui importe dans tous les cas c'est que c'est à l'aune de notre jugement que nous serons jugés, à notre capacité à venir en aide auprès de ceux qui souffrent et à la compassion réelle que nous manifestons que nous pourrons continuer à transformer le monde pour qu'il ressemble, ne serait-ce que comme une ombre, à ce que nous espérons être le Royaume de Dieu.

Roland Kauffmann

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