Un vitrail par jour 37

14 décembre – L'éthique minimale

David réprimandé par le prophète Nathan : DAVID EGIT PERITENDIAM NATAN PROPhETA. Le prophète Nathan exhorte David à la repentance.

2 Samuel 12, 1-7

1 L’Éternel envoya Nathan vers David. Et Nathan vint à lui, et lui dit : Il y avait dans une ville deux hommes, l’un riche et l’autre pauvre. 2 Le riche avait des brebis et des bœufs en très grand nombre. 3 Le pauvre n’avait rien du tout qu’une petite brebis, qu’il avait achetée ; il la nourrissait, et elle grandissait chez lui avec ses enfants ; elle mangeait de son pain, buvait dans sa coupe, dormait sur son sein, et il la regardait comme sa fille. 4 Un voyageur arriva chez l’homme riche. Et le riche n’a pas voulu toucher à ses brebis ou à ses bœufs, pour préparer un repas au voyageur qui était venu chez lui ; il a pris la brebis du pauvre, et l’a apprêtée pour l’homme qui était venu chez lui. 5 La colère de David s’enflamma violemment contre cet homme, et il dit à Nathan : L’Éternel est vivant ! L’homme qui a fait cela mérite la mort. 6 Et il rendra quatre brebis, pour avoir commis cette action et pour avoir été sans pitié. 7 Et Nathan dit à David : Tu es cet homme-là !

Résumons l'affaire. Le jeune frondeur que nous avions laissé vainqueur de Goliath (vitrail 34) est devenu le grand roi d'Israël, celui qui a unifié les tribus et conquis les territoires de la Terre promise jusqu'aux frontières de l'Égypte et les plaines de Syrie. Riche, puissant, entouré d'un harem de femmes toutes plus belles les unes que les autres, il n'en est pas moins séduit par la beauté de Bethsabée. Celle-ci est mariée ? Aucun problème pour le roi qui envoi le mari se faire tuer dans une bataille inutile et le voilà libre de prendre la veuve qui donnera naissance à un enfant. C'est à ce moment qu'arrive le prophète Nathan qui raconte cette parabole du riche et du pauvre pour révéler sa faute au roi.

Nathan illustre pour notre auteur médiéval la seconde manière de susciter la repentance. Après la voie de la conscience qui amène le fils prodigue à retourner chez son père (vitrail 35), c'est la voie extérieure qui fait se confronter David à la loi commune. À travers Nathan, Ludolphe de Saxe légitime son propre rôle et celui des membres de son ordre, lesquels parcourent les routes et les chemins pour amener humbles et puissants à la repentance. Et comme pour la débauchée, pour le fils ingrat, la clémence de Dieu pour David est sans limite et Ludolphe de se servir de cet exemple, particulièrement odieux à ses contemporains, pour souligner qu'aucun péché n'est trop grand pour ne pas être pardonné. Il termine son chapitre en faisant la liste de tous les pécheurs dont nous parle la Bible, au premier rang desquels les apôtres Pierre, Paul, le roi David : si Dieu a pardonné à ce traître de Pierre, à ce persécuteur de Paul, à ce suborneur de David, à combien plus forte raison nous pardonnera-t-il nos fautes bien moins graves que ne le furent les leurs. Voilà quel est le message de l'auteur du Speculum Humanae Salvationis.

La conscience commune

Comment l'élu de l'Éternel, le libérateur d'Israël, l'auteur de tant de psaumes d'une piété aussi remarquable, comment David, roi bon et juste, assurant la sécurité et la prospérité de son peuple a-t-il ainsi pu déchoir et devenir un vil assassin d'un de ses meilleurs serviteurs ? L'une des leçons de l'épisode pourrait être que le Bien, le Juste, le Vrai, la Beauté, en un mot la Vertu, n'est jamais acquise, une fois pour toutes, mais qu'elle est toujours un effort contre soi, contre sa nature et sa volonté de puissance. David est persuadé de son impunité, d'autant plus qu'il n'a formellement pas transgressé la loi. Ce n'est pas lui qui a tué l'époux, ce n'est pas sa faute si celui-ci se fait tuer, il avait une chance de s'en sortir. D'une absolue mauvaise foi, David se comporte comme un tyran au-dessus des lois communes, sûr que nul n'osera se dresser contre son désir parce qu'il est au faîte de sa puissance. Pieux et généreux, il ne craint pas les prêtres qui auraient trop à perdre à lui faire le moindre reproche. Les autorités religieuses sont à sa botte et chantent ses louanges.

C'était sans compter sur Nathan. Prophète solitaire, celui-ci n'a rien à perdre, sauf sa vie éventuellement, en déplaisant à son roi. Loin de toute compromission avec le pouvoir, sans considération pour le tort qu'il pourrait faire à la royauté, parce qu'il est porteur d'une loi qui dépasse les intérêts du moment et surtout les caprices du roi, il n'hésite pas à interpeller David. C'est une véritable leçon de courage politique et moral avec une grande intelligence. Nathan n'invoque pas les grands Principes, ni la Loi de Moïse ni les Commandements ni la Volonté de Dieu ni aucune des majuscules de la Morale. Il fait appel à ce que Georges Orwell appelait la Common decency ou décence commune. Il y a des choses qui ne se font pas et que l'on soit roi, prince, clerc, bourgeois ou intellectuel ne change rien à l'affaire. 

L'histoire choisie par Nathan est de cet ordre, de l'ordre de l'éthique minimale, directement compréhensible par tous, quelque soient les conditions d'existence ou les préoccupations de l'heure. Il y a des choses qui se font et des choses qui ne se font pas et comme Nathan, il nous faut dénoncer les faux-semblants et toutes les manières de légitimer et d'excuser les injustices de notre époque en usant de cette même liberté qui fut celle de Nathan et dont Orwell disait « Parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre » fussent-ils aussi puissants et pieux que le roi David en son temps.

Roland Kauffmann


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