Un vitrail par jour 31


8 décembre – Un message universel

Naaman guéri de la lèpre. Naaman nu, les bras croisés sur la poitrine, est debout entre deux personnages, dont l'un, le prophète Élisée, tient une banderole, et l'autre, son serviteur Guehazi, des vêtements. Le bas du corps de Naaman est encore dans l'eau. Au-dessus de la scène, dans un rond, le visage du Christ, pour rappeler que c'est déjà lui que vient la guérison et qui est annoncé dans la purification de Naaman.

2 Rois 5, 9-14

9 Naaman vint avec ses chevaux et son char, et il s’arrêta à la porte de la maison d’Élisée. 10 Élisée lui fit dire par un messager : Va, et lave-toi sept fois dans le Jourdain ; ta chair deviendra saine, et tu seras pur. […] 14 Il descendit alors et se plongea sept fois dans le Jourdain, selon la parole de l’homme de Dieu ; et sa chair redevint comme la chair d’un jeune enfant, et il fut pur.

Après le cycle égyptien des trois vitraux précédents et avant d'entamer le ministère de Jésus proprement dit, notre auteur médiéval consacre un chapitre entier au baptême. De la série originelle de quatre vitraux, centrée autour du baptême de Jésus par Jean le Baptiste, ne nous est resté que cet unique vitrail de la purification de Naaman le Syrien. Fidèle à sa méthode d'analogies, Ludolphe de Saxe compare évidemment les sept baignades dans l'eau du Jourdain à la purification, non pas seulement de la lèpre corporelle dont le général syrien est atteint, mais des sept péchés capitaux (paresse, orgueil, gourmandise, luxure, avarice, colère & envie) qui sont la lèpre de l'âme. Il n'omet évidemment pas de préciser que l'eau du Jourdain n'est pas purifiante en soi mais uniquement parce qu'elle a été transfigurée par le Christ qui, lors de son baptême, lui a transmis ses vertus. Une transformation figurée par le médaillon qui surplombe la scène pour bien signifier que le Christ est déjà présent lors de cette purification.

Ce médaillon est essentiel pour saisir la portée de l'évènement dans le contexte biblique et théologique. Ce récit de la purification fait suite au récit de la résurrection d'un enfant, le fils d'une étrangère qui plus est, par le prophète Élisée et à cette occasion, Élisée multiplie les pains pour nourrir la foule venue assister au prodige. Deux évènements qui seront à sa manière répétés par le Christ lorsqu'il ressuscitera Lazare et nourrira une foule avec cinq pains et deux poissons. Les miracles de Jésus relatés par les évangiles sont ainsi bien souvent des rééditions des miracles accomplis par les prophètes qui l'ont précédé. C'est à la fois une manière de souligner qu'il s'inscrit dans la lignée des prophètes mais aussi que ces derniers étaient avant tout des anticipations de celui qui devait venir après eux.

Une parole au bénéfice de tous

Or ce qui est particulièrement en jeu dans le ministère d'Élisée, c'est l'intervention du Dieu d'Israël au profit de non juifs. L'Éternel sort de son rôle de Dieu uniquement pour le peuple qu'il s'est choisi mais il agit aussi pour les autres peuples et Naaman ne s'y trompe pas puisqu'il annonce en reconnaissance de sa guérison que, désormais, il ne sacrifiera plus aux dieux de son peuple mais uniquement au Dieu d'Israël et pour se faire, conformément aux usages de son temps, il emmène avec lui des sacs de la terre sainte pour édifier un lieu de culte dans son pays. Pour Naaman, l'Éternel est un dieu territorial dont l'action est limitée aux frontières du pays. Il est ainsi exemplaire de tous ceux qui croient aujourd'hui encore qu'il y aurait des lieux plus saints que d'autres et que Dieu aurait besoin d'un territoire bien délimité, entre des frontières ou entre des murs, voire des tabernacles.

Mais l'universalisme est en germe dans l'épisode de sa guérison et il sera endossé par Jésus au tout début de son propre ministère en Galilée (Luc 4, 27) et répété encore au moment de quitter ses disciples en leur prescrivant « Allez par toutes les nations et faites des disciples » (Matthieu 28, 19). Cette dimension universelle du christianisme est aujourd'hui largement contestée et avec elle l'universalisme des principes philosophiques qu'il a engendré, notamment ceux des Lumières, au profit d'un relativisme culturel et religieux qui va aujourd'hui jusqu'à un relativisme des droits et des devoirs.

Le concept de chrétienté au sens médiéval du terme a été discrédité par les alliances du sabre et du goupillon, par les inquisitions et autres guerres de religion qui ont parsemé notre histoire. Il n'en reste pas moins que l'universalisme des valeurs, parmi lesquelles l'égale dignité de tous les êtres humains, indépendamment de leur statut social ou de leur condition, qu'ils soient hommes ou femmes pour ne prendre qu'un seul exemple, vient directement de cet universalisme judéo-chrétien. Libertés politiques et sociales, séparation des pouvoirs spirituels et temporels (ce que nous appelons aujourd'hui laïcité), égale participation de tous aux responsabilités collectives et aux prises de décision qui les concernent (ce que nous appelons aujourd'hui démocratie) sont des sécularisations de cette forme de vie commune qui était celle de la première Église à Jérusalem lorsqu'elle espérait encore être le renouveau du monde. Et le vitrail de la purification de Naaman est là pour nous rappeler l'apport décisif du christianisme à l'amélioration du monde depuis qu'avec le Christ, Dieu n'est plus enclos en un lieu particulier.

 Roland Kauffmann

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire