Un vitrail par jour 86

1er avril 2021

Nouvelle Ève, nouvel Adam

L'assomption de Marie. Le Christ lève la main droite pour bénir sa mère, assise à sa droite.

Ce vitrail n'est pas à la bonne place. Lors de la restauration de 1905, il était placé entre la Pentecôte (vitrail n°74) et la Vierge de miséricorde (n°77). Ce qui est logique, pour pouvoir exercer sa miséricorde encore fallait-il bien que la vierge soit montée au ciel. Nous ignorons les raisons qui ont poussé à son déplacement lors de la remonte des vitraux en 1949. Il ne faut pas, en tout cas, le commenter en fonction des vitraux qui l'accompagnent.

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Le projet de Ludolphe de Saxe, nous l'avons dit est de raconter l'histoire de la rédemption que Dieu a voulu offrir à l'humanité pécheresse par le sacrifice du Christ et le truchement de la vierge. Il est donc normal que dans les temps de la fin, cette dernière se voit accordée une place centrale, non seulement dans la piété de l'Église mais aussi dans la cosmogonie chrétienne. C'est parce qu'elle est proche du Christ devenu son époux en tant qu'elle représente l'Église qu'elle peut intercéder en faveur des pauvres pécheurs que nous sommes sans pour autant parvenir à infléchir le juste courroux du Christ restant inflexible devant les impénitents (n°83). C'est en tout cas le rôle que lui confère encore aujourd'hui l'Église catholique romaine qui a élevé l'assomption au niveau du dogme, c.à.d. ce qu'il faut croire pour être catholique, en 1950 couronnant ainsi une longue tradition spirituelle pour les fidèles.

En effet, le récit de la dormition, le fait que Marie se soit endormie sans connaître la corruption de la mort, puis de son assomption, c'est-à-dire de son enlèvement par les anges pour l'emmener vers le ciel, à ne pas confondre avec l'ascension du Christ qui s'élève de lui-même, est attribué à Jean l'évangéliste à qui Jésus, sur la croix, a confié sa mère. Que Jean n'en parle pas dans son évangile n'a pas empêché les Pères de l'Église et parmi eux notamment Grégoire de Tours au VIe siècle de notre ère, d'en faire une vérité quasi d'évangile. Jusqu'à ce que nos commentateurs médiévaux, véritables vulgarisateurs auprès du grand public, que sont Jacques de Voragine et justement Ludolphe de Saxe la répandent très largement.

Le thème de l'assomption ou du couronnement de la vierge qui lui est souvent associé se retrouve également très largement dans la statuaire des églises. On le retrouve ainsi trois fois à Notre-Dame de Paris. La conjonction entre le besoin spirituel exprimé par la piété mariale, la reprise de l'histoire par les commentateurs et l'utilisation artistique qu'elle permet a rendu possible le développement de ce culte marial tant apprécié aujourd'hui encore par les catholiques romains et dont nous avons suivi l’éclosion tout au long de notre cycle des vitraux du temple Saint-Étienne.

Nous avons vu à plusieurs reprises le caractère terrible de Dieu tel qu'il est présenté par Ludolphe de Saxe et toute la tradition chrétienne. À ce Dieu qui chasse ses créatures pour une peccadille, qui les fait mourir pour une simple désobéissance à un ordre mal compris et qui punit les péchés des innocents, il est très rapidement apparu qu'il fallait compenser l'image de ce Dieu terrible par celle, plus douce, plus aimante et charitable de la mère, épouse, intercesseuse, médiatrice. En d'autre termes, il fallait adoucir l'image du divin et proposer l'image d'une nouvelle création.

Une nouvelle création

Ainsi Marie est la nouvelle Ève (n°10), c'est celle qui écrase de son talon le serpent, bouclant ainsi la grande narration dans laquelle Ludolphe de Saxe nous a entraîné. Le couple qu'elle forme avec le nouvel Adam, le Christ, base du culte marial, répondait aussi aux besoins religieux des populations de culture hellénistique, habitués à invoquer des couples divins comme Zeus et Héra. C'est au nom de cette position privilégiée que la spiritualité catholique romaine contemporaine continue d'affirmer qu'une grâce spéciale a été faite à Marie, ce qui explique qu'elle peut être priée, mais cette grâce n'est jamais, toujours pour la foi catholique, qu'une anticipation de la grâce qui est promise à tous les croyants lors de la résurrection finale.

C'est peut-être cette dimension d'anticipation qui permet aux protestants de comprendre ce qui est en jeu dans le culte marial. C'est toujours en réalité l'attente d'une humanité nouvelle, débarrassée de toute forme d'oppression et d'humiliation, de misère et de détresses, d'une humanité qui n'aurait plus besoin de passer par les souffrances de la vie pour traverser une vie absurde parce que destinée à finir. Mais ce serait se tromper que de l'attendre. C'est aujourd'hui, c'est chaque jour que notre vie peut être plus aimante et plus à l'image de Dieu, que nous pouvons chacun être le Nouvel Adam ou la Nouvelle Ève, en d'autre termes que nous pouvons être plus humains les uns envers les autres.

Roland Kauffmann

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