Un vitrail par jour 85

31 mars 2021

Choisir la vie

Pharaon périt dans la mer Rouge avec toute son armée. Un char monté par plusieurs personnes et traîné par deux chevaux, dont l'un, épouvanté, tourne la tête en arrière, des guerriers tombés à la renverse.

Exode 14, 21-31

21 Moïse étendit sa main sur la mer. Et l’Éternel refoula la mer par un vent d’orient, qui souffla avec impétuosité toute la nuit ; il mit la mer à sec, et les eaux se fendirent. 22 Les enfants d’Israël entrèrent au milieu de la mer à sec, et les eaux formaient comme une muraille à leur droite et à leur gauche. 23 Les Égyptiens les poursuivirent ; et tous les chevaux de Pharaon, ses chars et ses cavaliers, entrèrent après eux au milieu de la mer. 24 À la veille du matin, l’Éternel, de la colonne de feu et de nuée, regarda le camp des Égyptiens, et mit en désordre le camp des Égyptiens. 25 Il ôta les roues de leurs chars et en rendit la marche difficile. Les Égyptiens dirent alors : Fuyons devant Israël, car l’Éternel combat pour lui contre les Égyptiens. 26 L’Éternel dit à Moïse : étends ta main sur la mer ; et les eaux reviendront sur les Égyptiens, sur leurs chars et sur leurs cavaliers. 27 Moïse étendit sa main sur la mer. Et vers le matin, la mer reprit son impétuosité, et les Égyptiens s’enfuirent à son approche ; mais l’Éternel précipita les Égyptiens au milieu de la mer. 28 Les eaux revinrent, et couvrirent les chars, les cavaliers et toute l’armée de Pharaon, qui étaient entrés dans la mer après les enfants d’Israël ; et il n’en échappa pas un seul. 29 Mais les enfants d’Israël marchèrent à sec au milieu de la mer, et les eaux formaient comme une muraille à leur droite et à leur gauche. 30 En ce jour, l’Éternel délivra Israël de la main des Égyptiens ; et Israël vit sur le rivage de la mer les Égyptiens qui étaient morts. 31 Israël vit la main puissante que l’Éternel avait dirigée contre les Égyptiens. Et le peuple craignit l’Éternel, et il crut en l’Éternel et en Moïse, son serviteur.

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La panique qui saisit l'armée égyptienne est parfaitement représentée par le désordre de ces soldats perdus et par ce cheval dont la tête est retournée de manière non naturelle. Devant la force des éléments, il ne reste qu'à fuir ou à périr et le texte nous dit qu'aucun n'en réchappa. L'artisan verrier a réussi par l'image à rendre visible cette débâcle en faisant l'impasse sur la joie du peuple hébreu qui vient de s'échapper.

Cette armée égyptienne est pour Ludolphe de Saxe la préfiguration des damnés qui seront éternellement rejetés loin de l'Éternel dans des souffrances sans fin, sans bornes et sans mesure. Il ne s'étend pas sur l'événement, sans doute parce qu'il n'a pas conscience qu'il rejette ainsi l'immense majorité de l'humanité, le salut étant réservé au petit nombre de ceux qui auront crû au Christ.

Pourtant il aurait pu, si il n'avait pas été obnubilé par son projet d'extraire justement les chrétiens du reste du monde, laissé à lui-même et au pouvoir des démons, au moins envisager la chose d'un point de vue moraliste. En effet, le récit nous invite à faire la part des choses entre ce qui dépend de nous et ce qui dépend de l'Éternel. Il appartenait au peuple hébreu de se mettre en route, de répondre à l'ordre de Dieu malgré la menace de l'armée égyptienne. Malgré les difficultés de l'existence, qui sont nombreuses et aussi menaçantes que ces poursuivants, la confiance que nous pouvons avoir en notre vocation doit rester ferme. Si le peuple s'était arrêté devant l'obstacle et avait craint que les murailles de la mer se referment sur lui, il aurait été à la merci de ses ennemis. Or il avait confiance et a affronté l'adversité se sachant dans la main de Dieu.

Plutôt que d'y voir une allégorie des damnés, l'armée égyptienne en déroute peut aussi être comprise comme la somme de tout ce qui nous empêche de vivre de manière digne de l'évangile. C'est d'abord ne pas être obnubilé par les adversaires, les contradicteurs, les désespérants et les prophètes de malheur pour nous-mêmes ou pour le monde. C'est cesser de croire que le monde va à vau-l'eau et doit s'abîmer dans la catastrophe environnementale, politique, sociale ou morale. Alors que tout paraissait perdu pour ce peuple, une brèche de liberté s'est ouverte et il fallait oser l'emprunter. C'est avant tout une leçon de courage que nous donne le récit de la traversée de la Mer rouge.

Une des urgences de l'heure serait pourtant de retrouver le sens du collectif. Il nous faut comprendre que nous avons collectivement, à la fois en tant qu'Église et en tant que société, confrontées l'une et l'autre à des difficultés terribles qui nous font croire à la perte de tout ce qui comptait à nos yeux, de tout ce à quoi nous étions accoutumés, une espérance de l'autre côté, non pas de la mort, mais là, tout-proche, juste de l'autre côté de la crise que nous traversons aujourd'hui.

Changer ce qui est en notre pouvoir

Si, comme les hébreux, nous n'avons pas prise sur les événements, il nous appartient néanmoins d'agir sur ce qui nous concerne, individuellement et collectivement. En effet, nous pouvons changer nos pensées et en chasser le chagrin, la crainte, l'envie, la jalousie, la malveillance, l'avarice, la colère, l'intempérance, le besoin d'accumulation de biens qui nous possèdent plus que nous ne les possédons. Nous pouvons laisser toutes ces choses se noyer dans la Mer rouge en nous attachant à l'Éternel.

Un attachement au divin qui ne signifie en aucune manière un détachement du monde et de l'humanité. Il n'est pas nécessaire de choisir entre Dieu et l'homme mais il s'agit de ne pas laisser prise à tout ce qui nous abaisse et nous dégrade et nous fait rester au bord de la Mer du côté des Égyptiens. En renonçant au désir de posséder ou de dominer les autres, en refusant l'exploitation économique et les manipulations politiques, en cultivant l'esprit de liberté, toujours individuelle et collective, en faisant nôtre la dernière parole de Moïse juste avant de laisser son peuple franchir quarante ans plus tard, un autre fleuve, le Jourdain, pour entrer dans la Terre promise : « Choisis la vie afin que tu vives » (Deutéronome 30, 19). Et chacun d'entre nous sait où se trouvent pour lui les forces de vie et les forces de mort ; à nous de franchir la Mer et de laisser derrière nous nos Égyptiens.

Roland Kauffmann

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