Un vitrail par jour 84

30 mars 2021

Un monde en guerre

Gédéon punissant les hommes de Succoth. Trois hommes nus pendus par les pieds. Un bourreau les fouette; Gédéon surveille cette exécution qui se fait devant de nombreux spectateurs, dont on distingue les têtes aux fenêtres d'un château-fort situé à l'arrière-plan.

Juges 8, 13-17

13 Gédéon, fils de Joas, revint de la bataille par la montée de Hérès. 14 Il saisit d’entre les gens de Succoth un jeune homme qu’il interrogea, et qui lui mit par écrit les noms des chefs et des anciens de Succoth, soixante-dix-sept hommes. 15 Puis il vint auprès des gens de Succoth, et dit : Voici Zébach et Tsalmunna, au sujet desquels vous m’avez insulté, en disant : La main de Zébach et de Tsalmunna est-elle déjà en ton pouvoir, pour que nous donnions du pain à tes hommes fatigués ? 16 Et il prit les anciens de la ville, et châtia les gens de Succoth avec des épines du désert et avec des chardons. 17 Il renversa aussi la tour de Penuel, et tua les gens de la ville.

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Nul besoin d'imaginer les souffrances de l'enfer après le Jugement dernier, l'enfer existe bien sur terre et la Bible ne manque pas de nous en donner un aperçu avec des récits tels que celui de la vengeance de Gédéon contre la ville de Succoth qui, au cours de sa guerre contre les bédouins, refusa de fournir aide et assistance à ses troupes fatiguées. Vainqueur, Gédéon torture les principaux chefs de la ville et massacre la population.

C'est bien le même Gédéon que nous avions déjà rencontré, trouvant dans la toison d'un bélier le signe de l'appel de Dieu à libérer son peuple (vitrail n°20). Devenu chef de guerre, il lance diverses campagnes contre les nombreux ennemis et le récit biblique nous raconte que pas moins de cent vingt mille hommes (!) sont tombés dans la bataille. De tels chiffres sont évidemment à prendre avec autant de précautions que lorsque Homère nous raconte les milliers qui tombèrent en un seul jour sous les murs de Troie dans L'Iliade ou Virgile, les grandes victoires troyennes contre les Latins avant de fonder Rome dans L'Énéide. Il ne faut pas y chercher une vérité historique mais le bulletin d'une armée victorieuse avec toutes ses exagérations.

Ce qui ne relève pas de l'exagération, c'est bien l'horreur de la guerre et il peut arriver que certains lecteurs contemporains de la Bible ne comprennent pas comment de tels récits peuvent trouver place dans l'histoire de l'Alliance de Dieu avec son peuple. Ils s'abstiennent en conséquence de lire ces textes en contradiction si flagrante avec l'image de Dieu que nous tirons de l'Évangile et avec son message d'amour des ennemis. Notre auteur médiéval n'a pas ces scrupules et considère l'attitude de Gédéon, envers une ville qui aurait dû pourtant être son alliée, parfaitement légitime. Il en fait même la préfiguration de l'attitude qu'aura le Christ lui-même envers les pécheurs repentants au moment du Jugement dernier. Ceux-ci ne doivent attendre nulle pitié mais la punition méritée de leur endurcissement au cours de leur vie.

L'interprétation de Ludolphe de Saxe, pour choquante qu'elle puisse être pour nous aujourd'hui, doit se comprendre dans le cadre de son projet global. Il raconte l'histoire de la rédemption de manière à presser ses lecteurs soit de se convertir soit de persévérer dans la foi. Il cherche à faire comprendre qu'il ne faut pas attendre le temps de la fin, lorsqu'il sera trop tard comme pour les Vierges folles (n°81) mais que c'est aujourd'hui, dans la réalité de la vie quotidienne, qu'il faut faire le choix de la fidélité au Christ. Au-delà de l'intention éditoriale du Speculum Humanae Salvationis, cette conception d'une juste sanction des pécheurs est largement partagée par les autres commentateurs du texte biblique et perdure encore aujourd'hui dans certaines mouvances traditionalistes ou évangéliques. Elle n'est d'ailleurs pas réservée à un certain type de christianisme mais se retrouve dans presque toutes les traditions religieuses.

Abandonnés de Dieu ?

Rares sont, heureusement, ceux d'entre-nous qui ont l'expérience de la guerre dans une unité combattante. Parfois quelques souvenirs d'enfance affleurent de l'Occupation mais les derniers témoins de ce que fut la Seconde guerre mondiale disparaissent comme les derniers survivants des guerres d'Algérie ou d'Indochine. Nous ne pouvons plus éprouver l'horreur de la guerre réelle, celle à hauteur d'homme que par procuration, par le truchement des grandes œuvres littéraires comme À l'ouest rien de nouveau d'Erich Maria Remarque, Vie et Destin de Vassili Grossman et tant d'autres comme Le Soldat oublié de Guy Sajer et les quelques témoignages disponibles sur les tragédies en cours.

Car la guerre n'a jamais quitté notre horizon. Elle est seulement devenue diffuse et virtuelle aux yeux du grand public qui n'en est concerné que par de lointaines informations dans les journaux télévisés à moins qu'elle ne surgisse parfois dans la rhétorique gouvernementale pour nous mobiliser contre un certain virus. Le récit du massacre de Succoth comme celui des rescapés qui, au plus fort des combats, se pensaient abandonnés de Dieu, plutôt que de nous faire peur pour notre destinée doit éveiller notre reconnaissance de vivre ici en paix et nous engager à tout faire pour qu'il en reste ainsi pour nous-mêmes et nos enfants mais aussi pour tous ceux qui, partout dans le monde, en subissent Le Feu (Henri Barbusse).

Roland Kauffmann

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