30 août 2022Le bon berger
Le Christ auréolé et portant sur son dos une brebis rejoint un groupe de quatre anges qui se réjouissent avec lui de son retour et de celui de la brebis représentant l'humanité.
Luc 15, 4-7
4 Quel homme d’entre vous, s’il a cent brebis, et qu’il en perde une, ne
laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller après
celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ? 5 Lorsqu’il l’a retrouvée, il la met avec joie sur ses épaules, 6
et, de retour à la maison, il appelle ses amis et ses voisins, et leur
dit : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis qui était
perdue. 7
De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un
seul pécheur qui se repent, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui
n’ont pas besoin de repentance.
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Ce vitrail, à l'origine placé avec
l'ascension d'Élie et
l'ascension du Christ n'a pas été replacé, ni en 1905 lors de la grande réinstallation ni après les deux guerres mondiales. Il est toujours conservé, avec deux autres vitraux plus tardifs, dans les réserves du Musée historique de Mulhouse que nous tenons à remercier pour nous avoir autorisé à l'examiner.
Pourtant ce vitrail résume à lui seul l'ensemble du cycle du
Miroir du Salut du Genre Humain. En effet, dans la droite ligne de l'interprétation allégorique, l'auteur, Ludolphe de Saxe, identifie les 99 brebis du texte de l'évangile de Luc aux neuf ordres d'anges qui sont dans le ciel. Et la brebis que ramène le Christ n'est rien de moins que l'humanité toute entière, retrouvant ainsi sa place dans l'ordre cosmique un moment perturbé par
la désobéissance d'Adam et Ève qui avait entraîné leur
expulsion du Jardin.
Comment ne pas voir aussi dans ce vitrail, une évocation du Psaume 23 "l'Éternel est mon berger" ou de l'affirmation par Jésus dans l'évangile de Jean "Moi. Je suis le bon berger" (Jean 10,11) ? À l'origine, peuple de bergers, le peuple hébreu a évidemment représenté l'Éternel sous la forme d'un divin berger, prenant aussi bien soin de ce troupeau symbolique qu'est l'humanité que le berger, en chair et en os, prend soin de son troupeau. Les premiers chrétiens ont tout naturellement repris l'image, même si la réalité de la vie d'un berger n'avait déjà plus grand sens pour ces premières communautés installées dans les grandes villes de l'Empire romain. Il faut toujours penser qu'un chrétien du 1er siècle avait la même distance culturelle avec le métier de berger que nous aujourd'hui.
Cette distance était moindre quant à l'imaginaire hébraïque. Les premiers chrétiens sont pour la majorité issu de la culture hébraïque et en ont gardé les racines. Au fil des décennies, de plus en plus de convertis d'origine et de culture hellénistique ont rejoint les Église sur tout le pourtour méditerranéen. Et si la réalité de leur vie a changé, leur représentation est resté la même.
Jusqu'à nos jours où l'image du berger continue à nous parler mais parfois avec un aspect négatif. En effet, nul d'entre nous ne revendiquerait aujourd'hui un statut de brebis. Au contraire, "Veille à ne jamais agir comme un mouton", la phrase d'Épictète (Entretiens II, IX) servait déjà au premier siècle à railler les adeptes de la nouvelle foi et aujourd'hui résonne étonnamment avec les affirmations des réseaux sociaux et autres influenceurs pour qui il importe de mener sa vie comme on l'entend, en toute indépendance et autonomie de pensée, de conviction et d'action.
Le grand théologien helvétique du XVIe siècle, si important pour nous à Mulhouse, Huldrych Zwingli
avait tracé les grandes lignes du travail d'un pasteur justement
dans un traité intitulé "Le Berger" (Der Hirt, 1523) où il
choisit le mot de « Wächter », littéralement le veilleur, celui
qui attend l'aube qui vient car c'est dans la nuit du monde que le
troupeau est en danger. Le pasteur, selon Zwingli doit veiller "à
fortifier les âmes et éveiller les consciences". Tout est là,
dans ces deux faces d'une même manière de prendre soin.
Fortifier les âmes, c'est accompagner
et soutenir ceux qui sont dans la peine, c'est apporter une
consolation dans les ténèbres de l'existence, c'est être dans le
silence avec ceux qui souffrent et peinent à trouver un sens à leur
vie. C'est « panser » et compatir avec tous ceux qui sont «
fatigués et chargés ». Fortifier les âmes, c'est nourrir la
spiritualité de celles et ceux qui nous sont confiés, c'est aider ceux qui cherchent un sens
à leur existence et ont besoin de ce qui est nécessaire et vital
pour eux, trouver une raison de vivre.
Éveiller les consciences, c'est
réfléchir avec ! C'est alerter et prévenir, c'est engager et
mobiliser. C'est dire que l'évangile n'est pas une recette de
bonheur, que c'est certes une promesse mais aussi et avant tout une
exigence. Une exigence de liberté pour tous, d'égalité entre tous,
et de fraternité qui passe par l'engagement et la solidarité dans
la mesure de nos moyens auprès de tous ceux qui ont besoin de notre
aide.
Fortifier les âmes, ce n'est pas
seulement « pleurer avec ceux qui pleurent » mais chercher des
consolations et des encouragements pour retrouver une confiance dans
le présent et un courage pour l'avenir. Éveiller les consciences,
c'est donner les moyens d'agir dans le monde pour sa transformation,
c'est développer un esprit critique envers tous les pouvoirs
constitués. Il n'y a sans doute rien de plus urgent que de
développer un tel esprit de résistance aux discours et aux
idéologies, aux pratiques des réseaux sociaux qui nous transforment
en un troupeau docile et obéissante. Fortifier les âmes et éveiller
les consciences, c'est justement l'exact inverse d'un troupeau
abruti.
Ainsi il importe que nous soyons les bergers les uns des autres. Non pas pour prendre en charge les autres mais pour nous préoccuper d'eux. Il s'agit là du cœur de l'éthique chrétienne, altruiste par principe. À chacun d'entre nous d'être le berger, et ainsi, le Christ pour notre prochain.
Roland Kauffmann
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