Samedi 1er avril 2023
Sappho VIIe – VIe siècle av. J.C.
Femme(s), je vous aime
« …J’ai parlé en rêve avec Aphrodite… »
« Je ne tenterai pas de toucher le ciel… »
« …Celle qui dort sur les seins d’une tendre amie… »
« Je voudrais te dire une chose mais la pudeur me l’interdit… »
« …
Éros a ébranlé
mon âme comme le vent sur la montagne qui
tombe dans les chênes. »
« …
A disparu la lune
avec les Pléiades ; au milieu
de la
nuit à mon côté le temps passe,
et moi je dors seule.»
« Certains disent que sur la terre sombre et bleue, rien n’est plus beau
qu’une armée de cavaliers ou de fantassins, ou qu’une flotte
de vaisseaux. Mais moi je dis que c’est celle ou celui qu’on aime… »
« …
Je te supplie Gongyla de chanter Cléanthis.
Prends ta lyre,
tandis que de nouveau le désir
vole autour de toi,
ô
belle ! Sa robe même t’a fait trembler
quand tu l’as
vue, et moi je m’en réjouis… »
« …
Mais moi j’aime la grâce.
Et mon amour
pour le soleil m’a donné en partage éclat et
beauté. »
De « celle qui parlait en rêve avec Aphrodite », il ne nous reste que quelques fragments et un seul poème complet. Son œuvre, collectée par les philologues alexandrins, comportait à l’origine de huit à neuf livres, dont le premier était entièrement composé de strophes dites saphiques (constituée de quatre vers dont trois de onze syllabes et un de cinq syllabes). Grâce à la découverte des papyri d’Oxyrynque, aux extraits cités par les différents auteurs de l’Antiquité ainsi qu’aux ostraka et aux graffitis retrouvés, un corpus de poèmes a fini par se sédimenter et se métamorphoser au fil du temps et des découvertes.
Fille
de Scamandronymos et de Cléis, Sappho naît à Érèse, sur l’île
de Lesbos, vers 630 avant J.-C. Elle parle et écrit l’éolien, le
dialecte de Lesbos. Elle perd son père fort jeune et sa famille
s’installe à Mytilène, la capitale de l’île, où elle épouse
un riche propriétaire du nom de Kerkylas d’Andros, dont elle a une
fille, Cléis. Elle a aussi trois frères, Érygiios, Larichos,
Charaxos.
Dans l’œuvre de Sappho, comme dans celle
d’Alcée, poète aussi originaire de Lesbos, qui fut son
contemporain et l’un de ses proches, les traces des crises
politiques sont particulièrement visibles. Les affrontements entre
les différentes factions auxquelles se rattachent les grandes
familles de Lesbos contraignent Sappho et sa famille à l’exil,
dont une année (entre 604 et 599 av. J.-C.) à Syracuse, en Sicile.
Sappho finit par revenir à Mytilène vers 590, où elle reste
jusqu’à sa mort en 580 avant J.-C. Une légende, rapportée par
Ménandre voudrait qu’elle se soit jetée dans la mer du haut du
rocher de Leucade par amour pour un jeune homme, Phaon, mais ce n’est
guère vraisemblable.
Sappho ne fut ni laide ni vieille, comme certains de ses détracteurs ont voulu la peindre, mais bien au contraire svelte, belle et lumineuse. À Mytilène, elle est à la tête de ce qu’elle nomme sa moisopolon oikia, « sa demeure consacrée aux muses », où, maîtresse de cérémonie, elle éduque un groupe de jeunes filles, un chœur lyrique féminin pratiquant la danse et le chant. Il s’agit de performances, d’actions poétiques rituelles et musicales, chantées et dansées collectivement par le groupe de jeunes filles dont Sappho est le chorège.
Il convient donc d’éviter les interprétations qui font d’elle la poétesse d’une intimité uniquement féminine. Les Anciens, qui récitaient ses poèmes à l’instar de ceux d'Homère et les gravaient sur les pierres comme en Sicile, ne s’y sont pas trompés : la voix de Sappho, la première femme qui dit "je", est une voix où les rôles respectifs des genres se sont brouillés, et relève autant du masculin que du féminin, comme le montrent dans ses poèmes les marqueurs de l’énonciation. Si l’amour des femmes et de leur beauté est au cœur de la poésie de Sappho, ce n’est pas le fait de la seule émotion, c’est aussi parce qu’elle forme ces filles à la maturité sociale et à l’épanouissement de leur beauté tant physique qu’intellectuelle. Mnémosyne (déesse de la Mémoire et mère des Muses) protège dans la mémoire des humains le souvenir de ces filles gracieuses, Atthis, Gongyla, Gyrinnô, Mnassidika… Le souvenir est en effet chez Sappho toujours celui des beaux moments qui ont été vécus ensemble.
Dans ce groupe de jeunes femmes, il s'agit de relations autonomes, ainsi que de la découverte de la philia, ce mélange d’amour et d’amitié, entre jeunes femmes. Ces relations homophiles sont en effet, à cette époque, compatibles avec, par la suite, la sexualité hétérosexuelle de la femme adulte. Elles ont lieu entre jeunes femmes du même âge et peuvent adopter la forme de mariages rituels.
Sappho a aimé les femmes et leur beauté : elle a su les chanter non seulement au travers de sensations vives, et singulières telles que frissons, brûlures, extases et vertiges, mais aussi comme une émotion commune devant la beauté du monde et de la femme, et la joie qu’il y a à la dire et à la partager.
Pour aller plus loin :
Ancient Greek Music Vol.1 | Spirit Of Aristotle: https://www.youtube.com/watch?v=UoQUy9po5bk
SAPPHÔ de Mytilène — La musique sapphique selon Marguerite Yourcenar (France Culture, 1984):https://www.youtube.com/watch?v=l7mHKE-FqFw
SAPPHÔ de Mytilène — La poétesse en archipel (France Culture, 1991):https://www.youtube.com/watch?v=4sYNU4QfkE4
Sappho et l’île de Lesbos, l’amour au fémininInvitation au voyage (28/05/2021): https://www.arte.tv/fr/videos/103818-001-A/sappho-et-l-ile-de-lesbos-l-amour-au-feminin/
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