Samedi 18 mars 2023
Hermann Hesse 1877 – 1962
Magister Ludi
Hermann Hesse, on le sait, s’est particulièrement intéressé à la culture orientale. Sa famille s’occupait de missions en Inde, sa mère y était née et il a lui-même voyagé en Extrême Orient. L’Orient occupe un rôle majeur dans ses écrits : il est non seulement l’auteur de la biographie romancée du bouddha, Siddhârta, mais aussi des Carnets indiens et le récit qui préfigure son utopie, Le jeu des perles de verre, s’intitule en français Voyage en Orient. L’ouvrage ne décrit pas tant un voyage au sens premier du terme, mais un pèlerinage intérieur, un « Voyage vers l’Orient de l’âme ». Comme le signale Édouard Sans dans son introduction, « l’Orient devient ici symbole au-delà d’une quelconque réalité géographique et historique, même si celle-ci demeure sous-jacente ». Dans ce récit, l’auteur tente une synthèse entre les valeurs de l’Orient et de l’Occident. Il ne s’agit en effet pas, pour l’auteur, de renoncer à sa culture pour en adopter une autre. Ce qu’il écrit à Thomas Mann, en 1933, c’est-à-dire peu après la publication de cet ouvrage et au début de la rédaction du Jeu des perles de verre, est, me semble-t-il, significatif de sa réflexion d’alors et doit pouvoir s’étendre à l’ensemble de la culture orientale et pas seulement à sa nationalité : « Je ne peux pas me défaire de la qualité d’Allemand qui est la mienne et je crois que mon individualisme de même que ma résistance et ma haine à l’égard de certaines attitudes et d’une certaine phraséologie allemandes constituent des fonctions dont l’exercice est non seulement profitable pour soi-même, mais rend également service à mon peuple ». Malgré son attirance pour une autre culture conjointe à son dégoût de certains aspects de la sienne, Hesse ne renie pas celle-ci au profit de celle-là : il tente bien plutôt une conciliation, tout en sachant la synthèse véritable et définitive impossible. C’est là un des thèmes centraux du dernier roman de Hesse et on verra qu’il joue un rôle non négligeable dans la place qu’il accorde à l’Orient.
L’Orient apparaît également dans son utopie, mais celui-ci peut sembler avoir un rôle moins essentiel. Il n’en est pourtant rien. Je me propose de relire Le jeu des perles de verre dans cette perspective. Je commencerai par rappeler brièvement les grandes lignes de l’œuvre avant de m’arrêter sur les passages où les trois principales caractéristiques de l’Orient se retrouvent dans ce roman. Mais je montrerai surtout que, paradoxalement, c’est dans la structure même de son utopie – élément particulièrement innovant et qui diffère fondamentalement de toutes les utopies existantes, qu’elles soient classiques ou contemporaines –, là où les éléments orientaux semblent disparaître ou passer à l’arrière-plan, que l’on peut voir toute l’étendue de son rapport à l’Orient et l’importance de cette culture.
Das Glasperlenspiel se présente comme une biographie de Joseph Valet, Magister Ludi, depuis son enfance et sa rencontre avec le maître de musique jusqu’à sa mort en passant bien sûr par son parcours au sein de l’ordre et son ascension à la fonction de maître du jeu. Il ne s’agit pas tant d’une biographie événementielle, que d’une biographie intellectuelle où apparaissent les motivations du héros, mais également ses questionnements et ses doutes sur l’organisation de sa société. De ce fait, Hesse pare immédiatement à trois critiques couramment adressées aux utopies : celle de la dépersonnalisation au sein de ces sociétés ; celle du caractère totalitaire des utopies, lequel passerait par l’endoctrinement des Utopiens ; et celle de l’immobilisme que revêtirait nécessairement une société parfaite.
Hesse imagine une société future, non précisément située dans le temps, et dans laquelle un jeu, le fameux Jeu des Perles de Verre, est l’élément culminant de la culture. En lui se concentre ce langage universel, qui permet d’établir des correspondances entre toutes les sciences et tous les arts :
Ces règles, l’écriture figurée et la grammaire du Jeu constituent une sorte de langue secrète extrêmement perfectionnée, qui participe de plusieurs sciences et de plusieurs arts, particulièrement des mathématiques et de la musique (ou de la musicologie). Elle est en mesure d’exprimer le contenu et les résultats de presque toutes les sciences et d’établir des rapports entre eux. Le Jeu des Perles de Verre se pratique donc avec toute la substance et toutes les valeurs de notre culture, il joue avec elles, un peu comme aux temps où florissaient les arts un peintre a pu jouer des teintes de sa palette. Ce que l’humanité a produit au cours de ses ères créatrices dans le domaine de la connaissance, des grandes idées et des œuvres d’art, ce que les périodes de spéculation érudite qui suivirent ont ramené à des concepts et transformé en patrimoine intellectuel, tout cet immense matériel de valeurs spirituelles, le joueur de Perles de Verre en joue comme l’organiste de ses orgues, mais les siennes sont d’une perfection presque inconcevable ; leurs claviers et leurs pédales explorent le cosmos spirituel tout entier, leurs registres sont pour ainsi dire sans nombre, et théoriquement cet instrument permettrait de reproduire dans son jeu tout le contenu spirituel de l’univers.
Même si on ne peut prétendre que ce roman soit centré sur ce rapport entre Orient et Occident, car il interroge bien d’autres aspects de la culture, il n’empêche que Hesse y fait plusieurs références importantes à l’Orient. Trois d’entre elles me semblent primordiales : la naissance du jeu et la dédicace de l’ouvrage, l’importance de la méditation et les études que le héros fait auprès de l’institut confucéen et qu’il poursuit dans l’ermitage de celui qu’on surnomme le grand frère.
La biographie fictive est dédiée aux pèlerins d’Orient. L’introduction nous apprend que ceux-ci sont en fait, du moins en partie, à l’origine du jeu. Mais pour comprendre cette naissance, il faut dresser le tableau critique de notre époque et de son évolution imaginaire. Cette période, que l’auteur commence par critiquer dans son introduction, est dénommée « ère des pages de variété ». La critique porte particulièrement sur le rapport à la culture. Celle-ci n’est pas absente, mais dénaturée : « Il se trouve précisément que cet âge des « pages de variétés », n’était nullement dépourvu d’esprit : on ne peut même prétendre qu’il en ait été pauvre. Mais, aux dires de Coldebique, il n’a guère su qu’en faire, ou plus exactement il n’a pas su lui affecter sa place et sa fonction adéquates dans l’économie de la vie et de l’état ». En réduisant l’esprit à un simple divertissement, au sens pascalien du terme, notre époque ne permet nullement à la culture de jouer un rôle positif. C’est pourquoi, les mots croisés apparaissent comme un des produits typiques du temps. Les articles de variété, avec le goût pour les anecdotes et l’habitude de demander à n’importe quelle personnalité son opinion sur tout sujet d’actualité, forment l’autre volet de ce qu’est devenu la culture. L’auteur montre en fait comment cette attitude culturelle, culminant dans les mots croisés, est en fait une manière inappropriée de réagir, une façon de fuir devant les difficultés au lieu de se préparer à les surmonter :
Gardons-nous de ne voir que l’aspect ridicule ou absurde de ce jeu et de nous en moquer. En effet, les hommes de ces devinettes enfantines et de ces dissertations culturelles n’avaient rien d’enfants innocents ni de Phéaciens espiègles. Ils vivaient au contraire une vie d’angoisses, au milieu de la fermentation et des séismes de la politique, de l’économie et de la morale ; ils ont fait force guerres atroces et force guerres civiles : leurs petits jeux culturels n’étaient pas tout bonnement un enfantillage gracieux et dépourvu de sens, ils répondaient à un besoin profond de fermer les yeux, de se dérober aux problèmes non résolus et à un pressentiment angoissant de décadence, pour fuir dans un monde irréel, aussi inoffensif que possible. […] Eux qui lisaient tant d’articles et qui entendaient tant de conférences, ils ne prenaient ni le temps ni la peine de se fortifier contre la crainte, de combattre en eux-mêmes la peur de la mort, ils vivaient pantelants au jour le jour et ne croyaient pas à un lendemain.
Cette critique virulente et ironique de la culture du temps n’est nullement l’expression d’un ressentiment personnel de la part de Hesse. Elle joue au contraire un rôle essentiel non seulement dans l’explication de l’évolution idéale future, mais aussi pour faire voir combien la culture bien comprise – mais qui n’est pourtant pas de l’ordre de la création – peut aboutir à une transformation profonde de la société.
La prise de conscience de cette dégradation profonde de la culture va provoquer un grand désespoir parmi les intellectuels :
[…] c’est ainsi qu’alors, tandis que les ambitions et les productions de l’esprit tombaient à un niveau très modeste, un terrible sentiment d’insécurité et de désespoir gagna précisément les intellectuels. On venait en effet de découvrir (on l’avait déjà pressenti ça et là depuis Nietzsche) que la jeunesse et la période créatrice de notre culture appartenaient au passé, que celle-ci était au seuil de la vieillesse et de son crépuscule, et cette constatation, soudain sensible à tous et que beaucoup formulaient sans ambages, servait d’explication à tous ces indices angoissants de l’époque : à la sinistre mécanisation de la vie, au profond abaissement de la morale, au manque de foi des populations, au caractère frelaté de l’art.
Face à ce constat brutal de la fin de toute culture créatrice, diverses attitudes ont vu le jour : de la résignation stoïque au pure divertissement cynique en passant par la négation pure et simple. Mais c’est dans cette nuit aussi qu’apparaissent quelques lueurs : « Dès la période de splendeur des pages de variétés, il y eut partout de petits groupes isolés, résolus à rester fidèles à l’esprit et à user de toutes leurs forces pour sauver et maintenir un noyau de bonnes traditions, de discipline, de méthode et de conscience intellectuelle ». C’est de ces centres de résistance, intellectuels et spirituels, qu’a pu, par la suite, renaître la culture et ils peuvent de ce fait être considérés comme les ancêtres du Jeu des Perles de Verre. « L’événement le plus important de cette orientation, ou plutôt de cette intégration nouvelle dans le processus culturel, fut un renoncement très général à la production d’œuvres d’art ; les intellectuels se détachèrent progressivement de l’activité du siècle, et il y eut – ce n’est pas moins important, c’est le fleuron de cet ensemble – : le Jeu des Perles de Verre ». Parmi ces centres de résistance, le biographe en cite deux, dont le rôle est déterminant : les musicologues occidentaux associant la musique et les mathématiques et les pèlerins d’Orients :
Il y eut un deuxième centre de résistance à la dégénérescence : la Fédération des Pèlerins d’Orient, dont les frères pratiquaient une discipline moins intellectuelle que spirituelle, le culte de la piété et du respect. La forme qu’ont prise actuellement notre culture de la pensée et le Jeu des Perles de Verre leur doivent beaucoup à cet égard, ils les orientèrent en particulier vers la voie de la contemplation. Les pèlerins d’Orient apportèrent également leur contribution à nos nouvelles conceptions de la culture et de ses possibilités de survie, moins par leur œuvre dans le domaine des sciences analytiques que par la faculté, qu’ils devaient à d’antiques pratiques secrètes, de se transporter par magie dans des époques et des civilisations reculées.
Deux éléments de l’Orient, qui apparaît à travers ces pèlerins à l’origine du Jeu des Perles de Verre, sont mis en exergue : la capacité de se transporter par l’imagination par des époques passées et la contemplation. Tous deux vont jouer un rôle important dans l’ouvrage.
Les pèlerins d’Orient sont dotés de cette étonnante capacité de se projeter à une autre époque ou dans une autre culture. Cette aptitude, qui pourrait sembler anecdotique, revêt une importance non négligeable dans le roman. Il sera repris par la Castalie, qui en fera un des exercices demandés aux jeunes castaliens, après leurs années de formations. Alors qu’ils disposent d’un temps d’absolue liberté, qu’ils voyagent où ils le souhaitent et consacrent leur temps à toutes les recherches qu’ils souhaitent sans devoir en rendre compte à personne, il leur est demandé chaque année un rapport sous forme de biographie fictive :
Dès les premiers temps de la province pédagogique, la coutume s’était instaurée d’exiger toujours des plus jeunes des étudiants, c’est-à-dire de ceux qui n’étaient pas encore admis dans l’Ordre, un genre particulier de dissertation ou d’exercice de style qu’on appela curriculum vitae : c’était une autobiographie fictive, située à une époque quelconque du passé.
Et cet exercice mêlant connaissance du passé et imagination est expliquée en référence avec les croyances orientales :
Il y avait dans cette forme de libre jeu une survivance de l’ancienne croyance asiatique en la résurrection et la métempsychose ; il était courant, pour tous les professeurs et les élèves, de se représenter que leur existence actuelle pouvait avoir été précédée par d’autres, dans d’autres corps, à des époques et dans des conditions différentes. Ce n’était certes pas une foi, au sens étroit du terme, et encore moins une doctrine ; c’était un exercice, un jeu de forces imaginatives, que de se figurer son propre moi dans des situations et des milieux différents.
D’ailleurs, le héros va aussi s’adonner à trois reprises à cet exercice et la fin de l’autobiographie contient trois de ces curriculums fictifs écrits par Valet. Le biographe n’hésite d’ailleurs pas à affirmer que ce sont là les éléments les plus importants de l’ouvrage.
En outre, étant donné la stratégie fictive particulière du roman, il serait difficile de ne pas remarquer l’analogie avec le texte que nous lisons. En effet, Das Glasperlenspiel constitue aussi une biographie fictive, mais cette fois d’un personnage du futur. Cette similitude, même si elle est ici déplacée du passé vers le futur, donne clairement à voir une assimilation importante d’un élément de la spiritualité orientale dans le roman de Hesse, puisqu’elle en donne quasiment la forme.
Par ailleurs, la spiritualité orientale, qui s’exprime notamment par la contemplation, rejoint sans doute la pratique de la méditation, je vais y revenir. Mais il est aussi à l’origine d’un tournant important dans la manière de jouer :
Ce fut seulement sensiblement plus tard que peu à peu, de l’inventaire spirituel du monde de l’enseignement, et notamment des habitudes et des usages des Pèlerins d’Orient, l’idée de la contemplation se dégagea et s’introduisit aussi dans le Jeu. On avait remarqué un fait déplorable : des individus qui n’avaient d’autres vertus qu’une mémoire exceptionnelle jouaient avec une dextérité éblouissante et se trouvaient en mesure de déconcerter et de confondre leurs partenaires par la succession rapide de représentations innombrables. Cette virtuosité fit progressivement l’objet d’interdictions de plus en plus sévères, et la contemplation devint un élément très important du Jeu ; pour les spectateurs et les auditeurs, elle en devint même chaque fois l’essentiel. Ce fut là un tournant dans le sens du sentiment religieux. Il n’importa plus seulement de suivre en pensée, avec une attention alerte et une mémoire entraînée, la suite des idées et toute la mosaïque intellectuelle d’une partie, on éprouva le besoin de s’y adonner plus profondément et avec plus d’âme. Après chacun des signes évoqués par le directeur du Jeu, on se livra à une méditation muette et rigoureuse sur ce signe, sur son contenu, son origine et son sens. […] Ainsi les hiéroglyphes du Jeu furent préservés de dégénérer en un simple alphabet.
La dimension spirituelle, qui est explicitement reliée aux pèlerins d’Orient, permet au jeu de ne pas devenir une pratique vide de sens ; autrement dit, c’est cette manière de jouer qui empêche le jeu de dégénérer comme ce fut le cas d’autres aspects culturels lors de l’ère des variétés. La dimension contemplative est donc essentielle dans la manière de jouer. Il ne s’agit pas que d’une simple association intellectuelle ; à celle-ci doit s’adjoindre une forme de méditation, typique des cultures orientales.
D’ailleurs, la méditation revêt un rôle déterminant non seulement dans le jeu, mais aussi dans la formation et la vie du héros. Avant qu’il n’entre en Castalie, le maître de musique, son mentor, le fait venir passer quelques jours chez lui, afin de l’initier personnellement à la méditation, dont la pratique est présentée comme absolument essentielle. Il le lui avoue :
[…] mais il est une chose plus importante que tout le reste : tu apprendras à méditer. En apparence, tout le monde apprend cela, mais on n’a pas toujours la possibilité de le vérifier. Je désire que toi, tu l’apprennes bien, comme il faut, aussi bien que la musique ; tout le reste en découlera ensuite de lui-même. Je voudrais donc te donner moi-même les deux ou trois premières leçons, c’est la raison pour laquelle je t’ai invité.
La pratique correcte de la méditation, exercice surtout oriental, est donc exposé comme un élément capital dont les autres capacités découlent.
Et pour être sûr que ce passage n’échappe pas au lecteur, Hesse va y revenir montrant, à deux reprises et par un jeu de mise en abîme, comment l’oubli de cet exercice est néfaste. Alors qu’il vit à Celles-les-bois, la patrie des joueurs, et qu’il poursuit ses études, Joseph Valet va faire la connaissance de Plinio Designori, qui deviendra un de ses amis. Celui-ci est membre du siècle et est cependant éduqué au sein de la province pédagogique, parce que ses aïeuls ont rendu d’importants services à la Castalie et restent proches d’elle. Mais l’important, c’est que tous deux vont durant toute leur scolarité défendre les valeurs opposées : Plinio Designori défendra le mode de vie du siècle et Joseph Valet ceux de la vie dans l’ordre. Mais si l’un comme l’autre assument leur rôle de porte-drapeau de deux conceptions différentes voire opposées, ils sont loin d’être totalement indifférents aux arguments de l’autre et aux valeurs de son monde. Cette question hantera Valet durant toute sa vie et elle déterminera même sa fin. Durant sa formation au sein de l’école des élites, Valet se retrouve à un moment submergé par cet antagonisme, qu’il intègre partiellement. Il décide d’écrire au maître de musique pour lui demander conseil. Celui-ci lui rend visite et questionne le héros sur ses activités quotidiennes, ce qui lui fait voir que, pris par ses études et par son rôle au sein de l’école, Valet en a négligé et oublié la pratique de la méditation, ce qui explique son sentiment de désarroi. Mais plutôt que de le sermonner et de le lui exprimer doctrinalement ou sous forme de conseil, le vénéré mentor raconte à son protégé un épisode de sa vie quand, jeune étudiant, il avait lui aussi omis ses pratiques méditatives :
J’aurais dû, poursuivit-il, même si j’avais pris la liberté de renoncer à mes exercices réguliers de méditation, me souvenir du moins de cette négligence dès les premiers effets du mal et la réparer. Et il avait parfaitement raison. Non seulement j’avais négligé la méditation durant toute une période, je n’en avais pas eu le loisir, l’envie m’en avait toujours manqué, j’avais été trop distrait, ou trop absorbé et excité par mes études, mais avec le temps, j’avais même totalement perdu la conscience de ce péché permanent d’omission, et il m’avait fallu, quand je m’étais trouvé au bord de l’échec et du désespoir, me le faire rappeler par autrui.
La mise en abîme opérée dans le roman nous amène à voir que ce n’est pas par hasard que l’on tombe dans la confusion intérieure, mais que cela se produit lorsqu’on délaisse la pratique de la méditation. L’exercice quotidien est donc absolument essentiel à la santé mentale et affective, quelle que soit la qualité des êtres.
Enfin, une troisième incursion particulièrement importante de l’Orient apparaît dans les études de Valet. Elle est apparemment plus casuelle, mais elle n’en acquiert pas pour autant moins d’importance. Le futur Magister Ludi décide en effet d’étudier en détails une petite partie d’un jeu, celle au cours de laquelle il a ressenti son désir de devenir un Joueur. C’est ce qu’il explique à un de ses anciens condisciples :
Tu te souviendras, tout au moins dans ses grands traits de cet exercice de Perles de Verre que nous avons élaboré alors, au troisième cours, avec l’aide de ce moniteur, et pendant lequel j’ai entendu cette voix et pris conscience de ma vocation de Lusor. Et bien, cet exercice qui commençait par l’analyse rythmique d’un thème destiné à une fugue et au milieu duquel se trouvait une phrase attribuée à Confucius, tout ce jeu, je l’étudie maintenant du commencement à la fin, c’est-à-dire que je me familiarise à force de travail avec chacune de ses phrases, que je la retraduis de la langue du Jeu dans sa langue originale, celle des mathématiques, celle de l’ornementation, en chinois, en grec, etc. Je veux, ne fût-ce que cette fois dans ma vie, réviser et reconstruire techniquement le contenu entier d’un Jeu de Perles de Verre […].
Le héros, on le voit, ne cherche pas la voie de la facilité, mais désire connaître au plus profond l’art auquel il va se consacrer. Ici, l’Orient, qui apparaît à travers la phrase de Confucius et l’apprentissage du chinois, semble non seulement perdu au milieu d’autres éléments culturels, mais aussi absolument casuel. Si au lieu de cette sentence confucéenne, une référence à un philosophe antique ou une comptine africaine était apparue, Valet n’aurait jamais ni appris cette langue, ni étudié la pensée du philosophe chinois. C’est sans doute exact. Remarquons toutefois que l’utilisation du hasard, notamment à travers les divinations du Yi-King, le Livre des Métamorphoses que Valet veut tellement apprendre qu’il quittera l’institut de l’Extrême-Orient pour devenir disciple du frère aîné, correspondent déjà à une pratique plus orientale qu’occidentale.
Reste que, vu depuis la mentalité occidentale, l’Orient semble constituer un élément parmi bien d’autres. Toutefois, si comme le proclament les utopies et celle de Hesse en particulier, l’éducation est un élément qui fonde ce qu’est l’homme et détermine son rapport au monde, l’apprentissage du chinois doit avoir une influence non négligeable sur la personnalité de Valet et sur sa vie. D’ailleurs, Valet semble accorder à cet élément de sa formation un rôle déterminant : « C’est avec une joie particulière, avec tendresse même, qu’il parla plus tard à ses proches du « Bois des Bambous », ce charmant ermitage qui fut le théâtre de ses études de Yi-King. Ce qu’il y apprit, les instants qu’il y vécut ne furent pas seulement décisifs, il y a aussi trouvé, guidé par une intuition ou par un déterminisme merveilleux, un cadre unique en son genre et un homme exceptionnel, celui qu’on appelait le « frère aîné », créateur et habitant de l’ermitage chinois du Bois des Bambous ». Cette formation dépassera aussi le simple approfondissement d’un exercice du Jeu, puisque Valet révélera son projet d’intégrer le Yi-King au Jeu des Perles de Verre, qu’il continuera par la suite à étudier la culture chinoise et particulièrement la littérature et la musique et que, par ailleurs, il qualifie cette période de « premier éveil », lui accordant donc un rôle bien plus déterminant qu’un simple élément d’apprentissage parmi d’autres.
Il y a à n’en point douter bien d’autres incursions de l’Orient dans ce roman. Mais il serait fastidieux de les relever toutes et cela ne nous renseignerait sans doute pas davantage sur le rôle et la place de ces cultures dans l’utopie de Hesse. Notons simplement que la culture orientale qui pénètre l’œuvre de Hesse est systématiquement la culture d’Extrême-Orient, non celle du Proche ou du Moyen-Orient. Cela s’explique évidemment par la biographie de l’auteur, mais il se peut aussi que son désir de réunir les cultures d’Orient et d’Occident explique également la recherche d’un Orient le plus étranger possible à la mentalité occidentale.
Pour terminer, je voudrais hasarder une hypothèse. Il me semble en effet que la forme particulière de l’utopie de Hesse tient justement de cette synthèse particulière qui n’annihile pas les éléments opposés et qui voit son expression dans la figure taoïste du taijitu, qu’on nomme aussi souvent les poissons Yin et Yang. Comme le Jeu des Perles de Verre consiste justement à révéler des analogies structurelles entre des domaines culturels très différents, il me semble que, malgré le fait que l’on passe ici de l’analyse pure à l’expression symbolique d’une structure, une telle correspondance peut se justifier.
Pour le comprendre, il faut revenir à la définition de l’utopie. Il y a deux types de définition des utopies : la plus courante consiste à relever les caractéristiques des utopies reconnues comme telles, l’autre consiste à partir de la fonction de celles-ci. La première façon de faire me semble avoir deux défauts. Le premier travers est d’ordre méthodologique : comment sait-on quelles sont les utopies si on définit le genre par ses caractéristiques, puisqu’on a déjà besoin de savoir ce que sont les utopies et quelles elles sont pour en relever les caractères les plus communs. Le second problème tient du fait qu’agir de la sorte fige l’utopie à une époque, puisque les particularités d’une utopies reflètent comme en positif les défauts de la société de l’auteur dans la mesure où il élabore une société où les problèmes qu’il a relevés dans sa société ont disparu. Ce problème est d’autant plus gênant lorsqu’il s’agit, comme ici, de s’ouvrir à des utopies qui n’ont pas été élaborées dans l’occident au cours de la modernité. L’autre manière de procéder me semble donc d’autant plus adéquate. Dans cette perspective, on peut définir l’utopie par ses deux fonctions élémentaires : la critique de la société de l’auteur et l’imagination d’une société au sein de laquelle les imperfections précédemment épinglées ne se retrouvent plus, par le moyen d’une organisation socio-politique différente. Il s’agit là d’une définition minimale, mais qui a l’avantage de ne pas tomber dans les problèmes de l’autre type de définition et néanmoins de maintenir le corpus tel qu’il est habituellement défini. Cela permet néanmoins d’admettre le fait que des utopies contemporaines existent, puisqu’on n’en exclut pas a priori toute société idéale qui différerait de celles conçues par More ou par Campanella.
Dans le cas du roman de Hesse, il ne fait pas de doute qu’on se trouve bien face à une utopie : la critique du rôle de la culture et de la transformation de celle-ci en page de variétés, d’une part, et, d’autre part, l’invention d’une société qui offre à la culture le rôle central et où celle-ci ne risque pas de tomber dans ce travers permet en effet de définir Das Glasperlenspiel comme un roman utopique. Celle-ci prend cependant souvent le contre-pied des utopies classiques et de celle de More en particulier. En effet, alors que celle de l’humaniste anglais est basée sur le travail de tous, celle-ci est fondée sur un jeu ; de même l’égalitarisme de la première est remplacé par l’élitisme de la Castalie ; pareillement, la famille qui occupe le rôle central dans l’Utopia est par contre totalement absente de la province pédagogique. Mais surtout – et c’est sur ce point que j’insisterai –, alors que dans toutes les utopies on a une société totale et indépendante, qui pourrait se voir étendue à l’ensemble de la planète, on a – et c’est une première – chez Hesse, une utopie partielle et dépendante. Contrairement aux autres utopies, qui sont des sociétés autonomes pouvant théoriquement s’étendre à l’ensemble du monde et y visant même dans une certaine mesure, la Castalie a besoin d’une société qui lui soit étrangère et sur laquelle elle se repose pour certaines questions.
Par certains aspects, la Castalie ressemble davantage peut-être à un ordre religieux qu’à une ville parfaite. Elle repose effectivement sur le monde de la même manière : on y vit très simplement et sans grandes préoccupations pour ce qui se passe au dehors ; c’est de lui qu’elle dépend pour assurer sa subsistance et même son recrutement. De plus, la vie en Castalie est d’une grande sobriété : la nourriture est bonne mais frugale, la vie y est entièrement consacrée à l’étude et la seule fête qui y est célébrée est très ritualisée. Plus marquant encore, c’est le siècle qui accorde des subsides à la Castalie, la déchargeant ainsi de toute préoccupation matérielle. C’est même le siècle qui offre aux Castaliens leur recrutement, puisque personne ne naît jamais dans la province pédagogique.
Hermann Hesse a sans doute écrit la seule utopie au sein de laquelle on ne peut naître. C’est évidemment une manière commode d’éviter les problèmes liés à l’organisation familiale, qui ne pourraient que détourner les Castaliens de leur vie vouée à la culture. Néanmoins, on pourrait s’attendre également à ce que toutes les questions liées à l’éducation soient évacuées de même, puisqu’en principe une société sans enfants n’a guère besoin d’un système éducatif poussé. Ce n’est pourtant pas le cas : l’éducation y occupe une place essentielle. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la Castalie se surnomme également la province pédagogique. L’éducation est au cœur des préoccupations castaliennes. Non seulement l’Ordre recrute ses futurs membres parmi les meilleurs élèves et veille soigneusement à leur éducation, mais il s’occupe aussi de l’éducation des enfants du siècle, puisque bon nombre des professeurs des écoles séculières sont des membres de l’Ordre.
Mais il ne faut pas imaginer pour autant que l’Ordre serait une espèce de super-pouvoir enlevant les enfants à leurs parents en fonction de ses propres besoins. Rien de tel. C’est l’État qui pourvoit à l’entretien de cette société dédiée à l’esprit, ce qui signifie que la population, par le biais de ses représentants, vote les budgets destinés à la vie castalienne. C’est elle aussi qui permet que les enfants qui le souhaitent et qui ont été choisis soient élevés en son sein. D’ailleurs, les enfants qui ne se plaisent pas et ne s’adaptent pas à cette vie particulière seront évidemment autorisés à retourner dans le monde et parfois même y seront contraints.
En outre, cette société basée sur l’esprit et la recherche est dépourvue aussi des femmes : non seulement les membres de l’Ordre sont des hommes, mais les jeunes de l’école des élites le sont également. Cet élément pourrait paraître particulièrement choquant à une lecture rapide et dans une perspective moraliste, qui ferait des femmes des personnes n’ayant pas les capacités nécessaires pour accéder à la vie de l’esprit et qui seraient cantonnées dans la matière et, plus précisément, dans la fonction reproductrice. Mais aucun élément du roman ne permet une telle lecture et il faut aussi tenir compte du fait que les héros de l’écrivain nobélisé sont systématiquement des hommes.
Je ne tenterai pas ici de développer toutes les raisons et le sens de cette absence. Je me contenterai d’insister sur le fait que construire une société sans les femmes est encore une manière d’insister sur le caractère partiel et dépendant de la société utopique décrite.
Par ce biais-là également est affirmée l’idée que le monde utopique de Hesse ne peut se passer du reste du monde. Il ne fonctionne que parce que le siècle reconnaît son importance. Pour le comprendre, il faut revenir à la période de grands bouleversements qui ont eu lieu au xxe siècle. À cette époque, la culture s’est fortement modifiée, n’accordant plus de valeur qu’à l’anecdotique. Mais c’est également au milieu de cette décadence que de petits noyaux intéressés à la vraie culture sont apparus comme des groupes de résistance. Ils ont cessé de produire de l’art, pour s’adonner à son étude et à celle de toutes les formes de culture. C’est de ces groupes que naît le jeu des perles de verre, qui apparaîtra au fil du temps comme l’apogée de la culture même. Lorsque quelques siècles après les grandes guerres qui ont été une conséquence du déclin de la culture connu lors de l’ère des variétés, la société reconnaîtra ce qu’elle doit à ces groupes culturels qui lui ont permis de se reconstruire, elle considérera qu’il est essentiel dans une société qu’une partie importante du public se consacre entièrement à la culture et à l’esprit. C’est ainsi que l’Ordre castalien est né véritablement, soutenu par le siècle. Joseph Valet en a bien conscience et tente d’en rappeler l’importance au directoire :
Mais nous autres Castaliens ne dépendons pas uniquement de notre morale et de notre raison. Nous dépendons aussi essentiellement de la situation du pays et de la volonté de notre peuple. Nous mangeons notre pain, nous utilisons nos bibliothèques, nous agrandissons nos écoles et nos archives – mais si le peuple n’a plus envie de nous en donner la possibilité, ou si notre patrie, par suite d’un appauvrissement, d’une guerre, etc., en devient incapable, c’en sera fait sur l’heure de notre vie et de nos études. Il se peut que notre pays cesse un jour de pouvoir entretenir sa Castalie et notre culture, qu’il considère un jour Castalie comme un luxe qu’il ne peut plus se permettre, qu’un jour même, au lieu d’être fier de nous, il ait le sentiment que nous sommes des pique-assiette et des parasites nuisibles, voire de faux prophètes et des ennemis : ce sont là des dangers qui nous menacent de l’extérieur.
On le voit, la Castalie est bel et bien dans une situation de dépendance à l’égard du siècle, avec tous les dangers que cela comporte. Mais il n’empêche que, même s’il risque de l’oublier, le siècle a aussi besoin de la Castalie : sans une société vouée à l’esprit, la société court de sérieux dangers de retomber dans la décadence et dans la guerre. Mais cette dépendance, pourtant bien réelle, est moins directement visible, puisqu’elle est d’ordre spirituel et moral : « Notre devoir suprême et le plus sacré est de garder au pays et au siècle leur fondement spirituel, qui s’est aussi révélé un élément moral d’une efficacité supérieure : je veux dire ce sens de la vérité sur lequel repose entre autres également la justice. ».. Il suffirait en effet que l’importance de la spiritualité – aux deux sens du terme – et de la culture s’estompe pour que le siècle tombe dans une idéologie économiste et considère la Castalie comme un luxe inutile. Ainsi, au fil du temps, le monde extérieur connaîtra diverses attitudes face à ce monde de l’esprit : à certains moments, celui-ci lui paraîtra bien plus important qu’à d’autres, son prestige sera plus grand et on veillera à lui permettre de s’étendre davantage en lui offrant davantage de moyens et en lui reconnaissant un plus grand intérêt ; à d’autres moments, par contre, ses budgets seront réduits et les membres de l’Ordre apparaîtront un peu comme des parasites ou comme des fainéants.
Ce qu’il m’importe ici de montrer, c’est le lien entre, d’une part, cette dépendance mutuelle de l’Ordre et de la Castalie ou, pour le dire autrement, de l’utopie et de la société réelle, et, d’autre part, l’Orient. Un premier argument peut consister à insister sur les valeurs. En Occident, il ne fait aucun doute que l’indépendance est une valeur importante et que corrélativement la dépendance est généralement considérée négativement. Dans nos sociétés, en effet, l’adulte est défini avant tout par son indépendance et par sa capacité à prendre la responsabilité d’autrui, c’est-à-dire par sa capacité à assumer la dépendance de quelqu’un d’autre. Il n’en va pas forcément de même en Orient. Je ne connais pas la situation de toutes les cultures orientales sur ce point, mais des études ont montré l’importance de la dépendance réciproque au Japon.
Par ailleurs, il me semble que le modèle que propose Hermann Hesse ressemble particulièrement au symbole du Yin et du Yang, tel qu’il est le plus souvent représenté. En effet, il y a à la fois une représentation partielle de la Castalie dans le siècle, particulièrement par les enseignants castaliens qui occupent des fonctions dans les écoles classiques, et, par ailleurs, une présence du siècle en Castalie par le fait que certains élèves viennent y suivre leur scolarité. Remarquons aussi que c’est de ces élèves qui connaissent la Castalie du dedans que dépendent souvent les subsides de celle-ci dans les périodes les plus obscurantistes. De même, on trouve lors des cérémonies de part et d’autres, des représentants de l’autre monde. Mais plus significatif encore que cette présence réciproque, que l’on peut voir dans l’œil des poissons du taijitu, c’est la dépendance des deux mondes qui me semble le plus caractéristique du Jeu des Perles de Verre. Hesse a construit une utopie qui reste dépendante du siècle (pour sa subsistance, sa conservation et son recrutement), dans un siècle qui a besoin de la province pédagogique pour éviter le déclin du passé et les guerres qui s’en sont suivi. C’est donc dans un équilibre réciproque que les deux sociétés doivent évoluer. Joseph Valet en est intimement convaincu, puisqu’il décide, à la fin de sa vie, de quitter l’ordre non parce que l’appel du siècle se ferait sentir, mais parce qu’il pense que c’est dans le siècle qu’il pourra au mieux servir son idéal de la Castalie.
Reste à se demander les raisons de cette dépendance. En effet, il aurait été bien plus logique qu’une société idéale soit indépendante, non seulement parce que l’indépendance est une valeur dans le monde occidental, mais aussi parce qu’ainsi elle ne serait nullement menacée. Cette dépendance de la Castalie à l’égard du siècle constitue en quelque sorte son talon d’Achille, le point par lequel son existence même est menacée. Cependant, en créant une utopie dépendante de la société réelle, Hesse construit également une réalité dépendant de l’utopie. Or, cette dépendance là est particulièrement pertinente. Elle justifie la nécessité des utopies, mais va même au-delà de la réflexion sur l’utopie. En effet, comme la Castalie est fondée sur la culture, construire une interdépendance entre le siècle et la province pédagogique revient en fait aussi à montrer l’intérêt de la culture non pas comme d’un élément parmi d’autres et d’un élément accessoire, mais d’en faire un élément fondamental du fonctionnement de toute société. Autrement dit, par le biais de cette construction, symbolisée par l’image du taijitu, l’auteur montre que la culture n’est aucunement le luxe d’une société, ce qui en est la vision habituelle, mais qu’elle en constitue au contraire un des fondements essentiels et sans lequel une société ne peut que, très rapidement, courir à sa perte.
Pour aller plus loin :
Mozart: clarinet quintet. Meyer, Quatuor Mosaïques
https://www.youtube.com/watch?v=eVrIP-maNuI
Richard Strauss : Four last songs - Elisabeth Schwarzkopf / Szell*
https://www.youtube.com/watch?v=ZXP568ppU-Q
Herman HESSE – Un siècle d’écrivains : Être poète ou rien du tout (Documentaire, 1999)
https://www.youtube.com/watch?v=nY2jjXaU0ns
Hermann Hesse liest "Stufen"
https://www.youtube.com/watch?v=_LaACP5GMUg
HESSE liest HESSE - IM NEBEL (Autorenrezitation)
https://www.youtube.com/watch?v=cYNgf61iD9M
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