L'Heure Musicale virtuelle du 10 décembre 2022

Samedi 10 décembre 2022

Heinrich Heine 1797 – 1856

Conte d'hiver

Là où l’on brûle les livres, on finit aussi par brûler des hommes

Elle chantait le chant du vieux renoncement,
Le tra-la-la du paradis
Avec lequel, quand il pleurniche, on assoupit
Le peuple, ce grand malappris. 

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"La contrebande que je porte avec moi, c'est dans ma tête que je la cache"

1842, Heine revient. Treize ans d'exil loin de l'Allemagne et ce retour aux sources pour dire toute la complexité de la relation entre les juifs et ce pays qui leur a permis de donner toute leur mesure culturelle, intellectuelle, littéraire, musicale, philosophique, économique… Mais pas seulement. Heine voit plus large et plus loin.

Dans un temps suspendu entre Paris et Hambourg, Heinrich Heine y déroule un poème épique d'une verve ironique sans pitié aucune, dans un style et une structure d'une étonnante modernité. Sa lucidité satirique annonce "une Allemagne gangrénée par les braillements de ces pharisiens de la nationalité" face à une modernité qui va beaucoup trop vite et où tout se crispe : identité contre cosmopolitisme, racines et traditions contre mouvante modernité, classes sociales sacrifiées contre nantis et profiteurs, empire contre république… "Ce vautour ressemblait, à s'y méprendre, à l'aigle de Prusse ; cramponné sur mon corps, il me dévorait le foie dans la poitrine".

Poème empreint aussi de nostalgie au fil de ses pérégrinations : ni régionaliste, ni universaliste, c'est d'une patrie idéale qu'appelle Heine de ses voeux, humaniste et tolérante.

C'est à Paris que l'Allemagne lui manque ("Le vin du Rhin me rend tendre et chasse de ma poitrine tous soucis, il y infuse l'amour de toute l'humanité"), c'est en Allemagne qu'il regrette Paris ("Oh ! que ne suis-je, soupirai-je, que ne suis-je chez moi, près de mon excellente femme, à Paris, dans le faubourg Poissonnière"). Heine est une lumineuse passerelle entre ces deux cultures, lui qui jetait des ponts pour conjurer ses propres déchirures, celle d'être un juif acculturé converti au protestantisme, un libéral monarchiste féru d'humanisme et un allemand francophile exilé, revenu puis encore exilé. Dans cette oeuvre, il orchestre avec virtuosité tous les paradoxes qui le tiraillent.

George Grosz qui reprendra en 1917-1919 le titre de ce poème de Heine pour un fameux tableau y peindra avec un génie expressionniste inouï ce que le poète avait pressenti des chaos allemands et de ce qu'ils allaient un jour brutalement enfanter. "La terre est aux Français et aux Russes ; la mer obéit aux Anglais ; mais nous autres Allemands, nous régnons sans rivaux dans l'empire éthérique des rêves" : la puissance industrielle, intellectuelle et militaire allemande un jour réclamera son dû. Heine et Grosz l'ont tous deux magistralement prédit.


Nous voulons être heureux sur terre,
Et cesser d'être dans le besoin;
Le ventre paresseux ne doit pas digérer
Le produit du dur labeur de nos mains.

Il pousse, ici-bas, pour les humains,
Assez de roses, assez de pain,
Assez de myrtes, de beauté et de joie,
Et suffisamment de petits pois.

Oui, des petits pois pour tout le monde,
Dès que les cosses auront éclaté!
Nous abandonnons le ciel
Aux moineaux, aux anges ailés.

Et s'il nous pousse des ailes à la mort,
Nous vous visiterons là-haut,
Et nous mangerons avec vous,
Des tartes célestes et des gâteaux.

"J’ai écrit le poème qui suit pendant le mois de janvier cette année à Paris, et l’air libre de cette ville souffle dans plus d’une strophe plus fortement que je ne l’aurais souhaité en vérité. Je n’ai pas omis d’adoucir et de retrancher déjà ce qui me semblait insupportable dans le climat allemand. Pour autant, lorsqu’en mars j’ai envoyé le manuscrit à mon éditeur à Hambourg, on me pointa encore de multiples passages inquiétants. Je dus me soumettre de nouveau à la fatale tâche de la réécriture, et il se peut fort que les tons les plus graves aient été étouffés plus qu’il n’était nécessaire ou qu’ils aient été supplantés par le son des clochettes de l’humour."

Pour aller plus loin :

Teodor Currentzis | Hans Zender: Schuberts Winterreise | SWR Symphonieorchester

https://www.youtube.com/watch?v=0K9mpWnUGI4

HEINRICH HEINE (1797-1856) : Un intellectuel européen – Une vie, une œuvre [1994]

https://www.youtube.com/watch?v=TAiNWsLAYa0

Richard Tauber - Die Lorelei (Silcher)

https://www.youtube.com/watch?v=e0_PtHwbCiY

die bücherverbrennung am 10. Mai 1933

https://www.youtube.com/watch?v=o7vu__LY_M8


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