L'Heure Musicale Virtuelle du 29 octobre

 Samedi 29 octobre 2022

 

Hâfez de Chiraz 1325 – 1389/90

Le vin et les roses

L'intégralité du programme

Au XIVe siècle, alors que Dante venait de terminer sa Divine Comédie et que Pétrarque était plongé dans son Canzoniere, la poésie persane battait son plein. Le grand poète du moment s’appelait Hâfez et il écrivait des ghazals, comme son prédécesseur Rûmi. Sans doute moins mystique, moins exalté que le maître soufi, Hâfez (né vers 1315 et mort vers 1390) est l’auteur de poèmes plus ambigus.

Le secret est au fondement de l’art poétique, des dialogues amoureux et des visions mystiques de Hâfez, nous dit son traducteur. « Hâfez était habité par un secret resté secret à lui-même. L’un des aspects de ce secret fut le comportement de l’être aimé de lui. Cet être ne lui en a rien révélé et l’a beaucoup déconcerté. Le poète nous a quittés avec son secret il y a six siècles. » L’un des caractères de ce secret est le sexe de l’objet d’amour. Comme dans les sonnets de Michel-Ange et de Shakespeare plus tard, le destinataire peut être alternativement homme ou femme. « Yâr, l’être qui accompagne et aide le poète, intime socius et bien-aimé, n’a aucun signe qui le distingue comme étant une femme. » Est-ce que cette indifférenciation incite à une lecture mystique des poèmes et à une identification de l’Aimé à une figure divine, à la manière dont on lit Thérèse d’Avila ou Ines de la Cruz ? Non, répond Hâfez lui-même, qui dialogue autrement quand est évoquée la divinité. Mais d’innombrables distiques pourraient, assurément, être isolés et constituer des prières enviables. « Par mon corps je ne puis atteindre la fortune de m’attacher à Toi./Mais le meilleur de mon âme est poussière au Seuil de Ta porte. »

L’ivresse, de même, loin de s’opposer à la maîtrise intérieure qui pourrait être propice à une réflexion contrôlée et à l’accès aux véritables valeurs spirituelles, est une porte de la sagesse, parce qu’elle délivre de l’étroitesse du « moi ». C’est un des paradoxes fondamentaux de cette poésie. L’ascète a moins de sagesse que l’homme ivre. L’homme chaste et contrit moins de grandeur que le libertin. « Demande aux libertins ivres le secret intérieur au voile/car le soufi de haut rang n’accède pas à cet état ! » Bien entendu, l’Aimé est paré de qualités absolues qui l’apparentent à un dieu, si bien qu’il ne s’agit jamais de beauté contingente, individuelle, éphémère. Mais les histoires d’amour qui lient le poète à son amant non sexué suivent le même cours que toutes les aventures humaines. Jalousie, possessivité, trahison, séparation, réconciliations, distance, absence, blessures et baumes.

On est loin de la souffrance de Pétrarque, ne cessant de traquer dans l’amour la fragilité de l’illusion, la menace de la tromperie, le caractère temporel d’une beauté fugace. Et il est certain que ces poèmes doivent leur gloire et leur durable postérité à leur sensualité et à leur richesse métaphorique : « Puisse mon âme être immolée à Ta Bouche, car au jardin du regard,/le Jardinier du monde n’a rien noué de plus beau que Ce Bouton de rose.»

Matthieu Denni

Pour aller plus loin :

Musique traditionnelle iranienne : https://www.youtube.com/watch?v=sw_7J5WoHFg

Hâfîz de Chiraz - Guitare & Voix : Carolyne Cannella : https://www.youtube.com/watch?v=9YGALCt5MH8

Jour 18: Ne t'afflige pas, Hafez - Petites sagesses à déguster : https://www.youtube.com/watch?v=iFEBPGNsbP8

Iran/Poems of Hafez Shiraz Part 66 : https://www.youtube.com/watch?v=q1b6O3IIwdk

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