En Corps, un film de Cédric Klapisch avec Marion Barbeau, Hofesh Shechter, Denis Podalydès
Rencontre Pro-Fil Mulhouse du 28 avril 2022
Le protestantisme a du mal avec le corps d'une manière générale. Sa spiritualité est fondée sur la Parole, autrement dit ce que nous pouvons discerner de ce que veut nous dire l'Éternel à travers les Écritures et toute forme d'expression corporelle lui est a priori suspecte. Seule la musique trouve grâce aux yeux ou plutôt aux oreilles, du protestantisme traditionnel.
Et pourtant, l'ode à la danse proposée par Cédric Klapisch dans En Corps est une véritable méditation existentielle sur la nécessaire et possible recherche de transcendance qui peut s'exprimer à travers la danse et, plus encore, dans ses deux aspects que l'on oppose souvent par facilité, la danse classique et la danse contemporaine.
Passons sur le prétexte scénaristique de la reconstruction d'Élise, danseuse étoile qui se fait une entorse grave après avoir compris son infortune amoureuse dans les coulisses d'un ballet. L'intrigue dont on a tout compris d'avance laisse heureusement la place à la danse dans toute sa diversité, en tenant ses deux pôles, le ballet de l'Opéra et la troupe ultra contemporaine en passant par le hip-hop et ses battles. Les deux sommets des deux soirées de gala, au début et à la fin du film exaltent la complémentarité des deux formes qui réunissent la même intention, à savoir l'union de la recherche de transcendance.
L'une cherche à s'élever vers le ciel en se détachant de la terre quand l'autre s'enracine dans la terre pour y chercher le ciel.
Et s'y conjuguent la même recherche de vérité de l'être, à la fois hors de lui-même et au plus profond de lui-même. La perfection qui se concrétise par la quête du beau, du vrai et du bon est atteinte, non pas lorsqu'on atteint le but, inatteignable par définition mais dans sa recherche elle-même. Comme Dieu qui ne peut s'inclure dans un moment ni dans un espace car alors il ne serait plus Dieu, la perfection ne peut être contenue ni trouvée car elle serait alors figée et imparfaite parce qu'elle ne pourrait plus s'améliorer.
C'est la leçon de En Corps, qui non content de réconcilier le ciel et la terre, montre à l'exemple de la Bible que l'on ne peut jamais atteindre à la perfection mais qu'il s'agit de toujours "s'efforcer d'être parfait" ou pour le dire en langage biblique "Soyez saint comme Je suis saint". C'est toujours "tendre à", "tendre vers…" en sachant que la perfection ne peut être atteinte sauf à ne plus être parfaite car l'amélioration fait partie de la perfection, la recherche est indissociable du but.
Et comme les danseurs qui cherchent à incarner cette perfection par le mouvement, il nous faut "donner chair à la Parole du Christ", c'est-à-dire lui donner une forme dans notre monde, et elle ne peut être, comme pour le danseur qu'au prix d'un effort permanent ou pour le dire avec les mots d'Albert Schweitzer: "La maturité à laquelle nous devons tendre consiste à devenir, au prix d'efforts continus, de plus en plus véridiques, de plus en plus purs, de plus en plus pacifiques, de plus en plus débonnaires, de plus en plus indulgents, de plus en plus miséricordieux".
Voilà une belle manière de danser sa vie et d'incarner la grâce à notre tour;
Roland Kauffmann pour le groupe Pro-Fil de Mulhouse
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