The Duke, un film de Roger Michel avec Jim Broadbent, Helen Mirren, Fionn Whitehead
Rencontre Pro-Fil du 19 mai 2022
The Duke est un parfait exemple de la manière dont le cinéma peut contribuer à populariser une philosophie auprès du plus large public et en même temps une belle démonstration de la manière dont le cinéma peut nous entraîner sur des fausses pistes.
En effet, Roger Michel nous raconte une histoire parfaitement crédible ou en tout cas nous y fait croire sans que notre esprit soit arrêté par des invraisemblances pour finalement nous raconter le même évènement, à savoir le vol du portrait du duc de Wellington à la National Gallery de Londres en 1961, d'une toute autre manière, bien plus réelle. Une trame narrative et un dispositif scénaristique pour nous rappeler que le cinéma comme la vie est avant tout une histoire de point de vue, autrement dit de montage.
Au-delà de cet aspect formel qui fait de The Duke un cas d'école pour illustrer la différence entre crédible, croyable et réel - comme si finalement on y croyait parce qu'on a juste envie d'y croire, à cette histoire d'un Robin des Bois sexagénaire commettant un crime que "seule une bande organisée" ou le Docteur No (double référence à la fin de The Duke) pouvait commettre. Le spectateur est dupé alors que tout (ou presque) lui est montré et tout est dans le "presque".
Mais plus que la technique cinématographique, c'est la manière dont le message d'une philosophie profondément altruiste est tranquillement distillé auprès du public par le biais d'une comédie, bien plus référencée qu'il n'y paraît. Si la croisade de Kempton Burton pour la gratuité de la redevance télé est de l'ordre de David contre Goliath, la sympathie qu'elle provoque chez le spectateur du film est immédiate tout comme l'autre public auquel s'adresse le héros, c'est-à-dire le public de son procès. Burton est, comme l'affirme son avocat, un "bonhomme" en insistant sur la bonté foncière du personnage. Kempton Burton est un idéaliste qui croit simplement que l'homme vaut mieux que ce qu'il ne fait et en l'importance de l'altruisme.
"Tu es moi et je suis toi, tu es ce que je te fais, je suis ce que tu me fais", cette magnifique définition que donne Burton de la vie en société est profondément ancrée dans la société britannique, pourtant réputée pour son libéralisme économique. Depuis Samuel Butler (Erewhon, 1872), Mandeville (La Fable des abeilles, 1714) et Thomas Hobbes (Léviathan, 1651), la philosophie britannique est traversée par le débat entre égoïsme et altruisme. Même la "main invisible" d'Adam Smith (Théorie des sentiments moraux,1759), pilier du libéralisme, doit se comprendre dans cette logique qu'il y a fondamentalement une recherche, non pas de son propre intérêt mais de l'intérêt d'autrui, dans le fonctionnement de la société. Et c'est cette croyance, au cœur du libéralisme, que promeut en réalité Kempton Burton sous ses traits de Robin des Bois. Lorsqu'il raconte son expérience fondatrice, alors qu'il risquait la noyade, qu'il a simplement patienté, persuadé qu'il était que quelqu'un allait venir à son secours, il affirme sa foi en l'humanité.
Même s'il est licencié pour avoir pris la défense d'un immigré abusé, même si les apparences sont contre cette idée de la sympathie existant entre les hommes, Kempton Burton ne cesse d'y croire et de donner tort à Jean-Paul Sartre. Non les autres ne sont pas l'enfer mais le paradis, à la condition de les aimer comme soi-même. Une référence chrétienne qui n'est pas du tout explicite dans le film mais qui est la condition même pour que la philosophie libérale de l'altruisme puisse fonder une société.
Par son ton léger et "sympathique" justement, par la communion qui se met en place entre l'accusé, ses juges et le public, The Duke aborde, l'air de rien, des questions philosophiques de première importance sans même parler du sentiment de culpabilité de celui qui, croyant bien faire, se croit responsable de la mort de sa fille.
Pour le groupe de Mulhouse, Roland Kauffmann
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