Une éthique pour aujourd'hui, un vitrail par semaine - Un évêque inconnu

15 avril 2022

103 10-3 Un évêque inconnu

Auréolé, ce qui indique sa sainteté, ce personnage est un évêque portant la mitre et tenant la crosse épiscopale dans sa main gauche, et faisant le geste de bénédiction de la droite.

Vitrail restauré aux frais de M. Albert Spoerry-Engel.

En 1905, ces trois personnages (10-2 ; 10-3 et 10-4) étaient répartis dans les fenêtres 7, 8 et 9 et étaient encadrés par les vices et les vertus. Leur regroupement en 1948 est particulièrement pertinent puisque ainsi saint Josse et l'évêque inconnu se regardent mutuellement tout en encadrant Jean Baptiste. Le signe de bénédiction pourrait ainsi signifier la bénédiction de l'Église sur l’œuvre de piété, l'ensemble des vitraux de l'église, réalisée par la comtesse Jeanne de Ferrette.

L'Église, lieu de rencontre avec la culture

« Hors de l'Église, point de salut » disait l'ancien adage de la sagesse populaire, répétant en cela la doctrine de l'Église catholique médiévale. La présence dans nos vitraux d'un évêque, a fortiori anonyme et revêtu des attributs de son autorité, est en soi une marque de respect envers l'institution catholique. Il s'agit pour les donateurs à la fois d'appeler sur eux et sur leur œuvre la bénédiction de l'Église, signifiant d'abord l'approbation de celle-ci mais aussi la dimension salvifique de l’œuvre accomplie. Une œuvre telle que nos vitraux, pour être pieuse, n'en est pas pour autant totalement désintéressée. Il s'agit aussi de « faire son salut », c'est-à-dire de racheter par une œuvre pieuse les fautes commises dans l'exercice du pouvoir des comtes de Ferrette. La comtesse Jeanne, si elle est bien la donatrice de nos vitraux, rachetant ainsi les fautes de sa famille.

La pratique est couramment admise durant tout le Moyen-Âge et ne suscite aucune contestation. D'une manière générale, contribuer à l'embellissement des lieux de cultes, ici par des vitraux, là par des statues ou le financement d'une chapelle dédiée à un saint particulier est considérée comme un juste retour des choses. Dieu ayant placé telle personne ou telle famille dans une situation d'autorité et de fortune, rien de plus normal que de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu ».

Une pratique qui n'est pas sans rapport avec celle des grandes familles protestantes mulhousiennes du XIXe siècle qui ont contribué à la restauration de ces mêmes verrières et qui ont laissé leur nom sous bien des vitraux. Koechlin, Mieg, Dollfuss, Mantz, Engel, Spoerry et tant d'autres qui, en reconnaissance des biens qui leur étaient donnés par Dieu exprimaient ainsi leur gratitude envers lui ainsi que leur piété.

Même s'il ne faut pas être naïf et qu'il faut faire la part de l'intérêt qu'ils pouvaient y trouver, la philanthropie et le mécénat des arts étant déjà à l'époque, comme à celle de Jeanne de Ferrette et comme à la nôtre, une manière de se racheter une conscience à peu de frais. Aujourd’hui encore, les grands noms de l'industrie construisent des musées ou des fondations à leur nom partout dans le monde. Leurs intentions ne sont sans doute plus comme pour Jeanne de racheter leur fautes devant l'Éternel mais plutôt de s'acheter une image de respectabilité culturelle.

Cela étant dit, il n'en reste pas moins qu'il faut saluer ces formes d'engagement culturel et citoyen lorsqu'elles prennent la forme du musée Wurth à Erstein ou le Centre d'Art contemporain de Wattwiller et bien d'autres en Alsace, où la volonté est avant tout de soutenir des artistes et de partager les beautés du monde. Il fut une époque où les églises étaient les lieux où se réalisait cette rencontre entre l'art et le commun des mortels que l'on nomme aujourd'hui « grand public ». Ce sont aujourd'hui d'autres lieux qui assurent cette fonction car l'art et la culture sont heureusement enfin totalement sécularisés et n'ont plus besoin de la bénédiction d'un évêque inconnu pour exister en tant qu'interpellation et critique du monde ou en tant qu'incitation à la beauté.

Il y a belle lurette que l'Église n'a plus le monopole de la culture et il existe encore quelques lieux, églises, temples ou chapelles, où une forme d'art et de beauté, qui n'a pas besoin de quelque forme d'autorité que ce soit peut émerger. Ainsi le temple Saint-Étienne à Mulhouse aura été un tel lieu durant des décennies. Aujourd'hui que se tourne la page d'une époque, et que les évêques inconnus ne bénissent plus ce qui s'y passe, il ne reste plus qu'à bénir ceux qui un jour prendront la suite pour relever le flambeau de la liberté artistique et créative.

Roland Kauffmann

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