L'Heure Musicale virtuelle du 13 avril 2024

 Samedi 13 avril 2024

BEATUS RHENANUS

1485 – 1547

Gloire du livre



Une heure en musique...

Le 20 juillet 1547 mourut le savant Beatus Rhenanus, de son vrai nom Beat Bild, ami d’Erasme qui l’appelait son alter ego. Il fut enseveli à l’église Saint-Georges. Né à Sélestat le 22 août 1485, il fut l’élève de Craton Hofmann dès l’âge de six ans. La bibliothèque conserve son cahier d’écolier des années 1498-1499 ; grâce à ces pages on prend connaissance à la fois de la richesse de l’enseignement donné et de l’intelligence de l’élève. Après des études brillantes à la Sorbonne de 1503 à 1507, sous la direction de Lefebvre d’Etaples, il exerça le métier de correcteur et de philologue, d’abord à Paris chez l’imprimeur Estienne, puis chez l’imprimeur strasbourgeois originaire de Sélestat Mathias Schurer, ensuite à Bâle chez les imprimeurs Jean Amerbach et surtout chez les Froben. Il fut en contact avec les plus grands érudits de l’Europe.

Il avait commencé à se constituer une bibliothèque dès son plus jeune âge. La fortune de son père, Antoine Bild, bourgmestre, lui permit d’acquérir 57 volumes avant son entrée à l’université en 1503 : ouvrages de grammaire et de rhétorique (Alexandre de Villedieu), ouvrages d’humanistes (Nicolaus Perottes, Franciscus Niger). Pendant ses études universitaires à Paris, il put acquérir 188 volumes ; parmi celles-ci on compte 20 traités d’Aristote, des éditions d’auteurs latins classiques et des éditions princeps de Pères de l’Eglise. A l’âge de vingt-deux ans, il possédait déjà 253 livres, ce qui était considérable pour l’époque. Sa longue carrière littéraire lui permit d’acquérir de nombreuses éditions parisiennes et frobéniennes qui forment une des originalités de sa bibliothèque.

Outre les éditions auxquelles il collabora comme correcteur et philologue (Tertullien, Eusèbe de Césarée, Sozomène, Sénèque, Quinte-Curce, Velleius

Paterculus , Pline l’Ancien, Tite-Live, etc.), il acheta de nombreux écrits. Il reçut de nombreuses œuvres qui portent souvent sur la page de titre l’ex-dono. Il échangea plusieurs de ses propres éditions avec celles de ses amis. Chacune de ses œuvres porte presque toujours l’ex-libris manuscrit de Beatus Rhenanus dont une formulation montre combien Rhenanus tenait à sa bibliothèque ; en effet il marque parfois sur la page de titre « Sum Beati Rhenani Nec muto dominum » (« J’appartiens à Beatus Rhenanus et je ne change pas de maître »). Anobli par l’empereur Charles Quint en 1523, il a fait décorer plusieurs de ses reliures par ses armoiries. 222 livres forment des recueils qui peuvent contenir jusqu’à 30 œuvres différentes, la plupart couvertes de notations marginales, qui résultent parfois de la collation d’un manuscrit découvert dans une autre bibliothèque. N’oublions pas de signaler la correspondance de Beatus Rhenanus : 255 lettres autographes d’amis sont encore conservés dans la bibliothèque de Sélestat.

Tous ces trésors, 423 volumes contenant 1 287 œuvres et 41 manuscrits éparpillés dans divers recueils, auxquels il faut ajouter 33 manuscrits anciens et les lettres autographes représentent un total de 1 686 documents légués. Ces objets furent d’abord déposés dans la chancellerie municipale et rangés avec les archives de la ville, puis déménagés à la douane. En septembre 1757, les livres furent transportés dans la resserre d’archives de l’église Saint-Georges, où se trouvaient encore les ouvrages de la bibliothèque paroissiale. En 1840 les bibliothèques ont été installées à la mairie.

Jusqu’au 19e siècle les ouvrages étaient essentiellement utilisés par les érudits et les enseignants. En 1841, fut ouverte à Sélestat la première véritable

bibliothèque publique cherchant à intéresser l’ensemble de la population à la lecture. Grâce à une importante politique d’acquisition, les locaux de la bibliothèque, installée au deuxième étage de la mairie, vont se révéler bientôt trop petits. La décision est alors prise d’aménager l’ancienne halle aux blés en bibliothèque, bâtiment qui sert toujours actuellement à la conservation de ces trésors patrimoniaux.

L’originalité de cette bibliothèque réside dans l’homogénéité du fonds, composé de nombreuses éditions parisiennes du premier quart du 16e siècle, des éditions aldines, des éditions frobéniennes mais aussi alsaciennes, ainsi que du legs de livres et manuscrits grecs que Rhenanus a hérité de son professeur, l’humaniste Jean Cuno, qui décéda à Bâle en 1513.

La Rhenana reste le témoin privilégié de l’humanisme alsacien et rhénan. Grâce aux volumes de cette collection, aux reliures artistiquement confectionnées, aux pages couvertes de notes, le chercheur d’aujourd’hui peut avoir une idée des principales préoccupations des érudits de nos régions et de tout le mouvement humaniste de la fin du 15e et du début du 16e siècle.

La Réforme et le livre...

Le passage du Moyen Âge aux temps modernes a été marqué par des bouleversements et des innovations. L'une des innovations les plus importantes a été l'invention de l'imprimerie moderne. Elle a influencé de manière déterminante le développement de la Réforme.

Le réformateur Martin Luther (1483-1546) a vécu à une époque de bouleversements. Le passage du Moyen Âge aux temps modernes a été marqué par de grands changements dans de nombreux domaines de la vie. Les mouvements de réforme au sein de l'Église allaient de pair avec de nouvelles innovations techniques, notamment dans le domaine de l'imprimerie.

Pendant longtemps, le savoir et l'éducation n'étaient accessibles qu'à une petite élite et étaient cultivés dans les monastères. Ce n'est qu'à la fin du Moyen Âge que des écoles et des universités ont vu le jour, ce qui a entraîné une augmentation de la demande de livres. Le nombre de moines sachant écrire pour reproduire les ouvrages ne suffisait plus. C'est ainsi que des ateliers d'écriture laïques se sont formés et que le clergé a perdu sa souveraineté en matière d'éducation. La langue vernaculaire s'imposa et le latin passa de plus en plus au second plan.

Martin Luther était lui aussi un ami de la langue populaire. L'interprétation de la Bible ne devait plus être laissée aux érudits et au pape. Seule la Bible ("sola scriptura") devait servir de guide pour les questions de foi. Luther voulait que chacun, du paysan au noble, comprenne le contenu de la Bible. L'invention de Johannes Gutenberg arriva à point nommé pour la diffusion de l'écriture.

Vers 1440, Gutenberg eut l'idée d'assembler des caractères mobiles individuels pour former un modèle d'impression. Il a ainsi révolutionné l'impression des livres. La Bible est devenue le premier livre imprimé au monde et reste aujourd'hui encore l'un des livres les plus vendus.

"Les grands bienfaits de l'imprimerie ne peuvent être exprimés par des mots. C'est par elle que les Saintes Écritures s'ouvrent et se répandent dans toutes les langues et tous les langages, c'est par elle que tous les arts et toutes les sciences se maintiennent, s'accroissent et se propagent à nos descendants". (Martin Luther, Discours de table)

Six typographes et douze imprimeurs, ainsi que d'autres personnels auxiliaires, travaillèrent pendant près de trois ans à l'impression de la Bible de Gutenberg à 42 lignes. Pour le citoyen ordinaire, elle était hors de prix : il fallait débourser la coquette somme de 42 florins pour en acquérir un exemplaire. Sur les 200 exemplaires estimés, il en reste aujourd'hui 49, parfois sous forme de fragments.

Ainsi, avant même la traduction de la Bible par Martin Luther, on comptait déjà 18 Bibles allemandes imprimées, dont 14 en haut allemand et quatre en bas allemand. La plus ancienne Bible allemande imprimée date de 1466 : Johannes Mentelin, un ancien assistant de Gutenberg, l'avait imprimée à Strasbourg. Le texte de la Bible de Mentelin est basé sur le texte biblique latin de la Vulgate.

Les traductions de la Bible pré-luthériennes étaient toutefois encore très maladroites. En plus du texte biblique latin, Martin Luther s'orientait également vers les textes de base hébreux et grecs. Il traduisait selon le principe suivant : "Il ne faut pas demander aux lettres en latin comment on doit parler allemand, mais il faut demander à la mère dans la maison, à l'homme du commun sur le marché et ensuite interpréter, ainsi ils comprendront".

En l'espace de onze semaines, Luther a traduit le Nouveau Testament au château de Wartburg. Il fut publié en 1522 sous le nom de "Testament de septembre". Dès le mois de décembre, la première édition, tirée à 3 000 exemplaires, était épuisée. La deuxième édition révisée suivit, avec des améliorations linguistiques à 576 endroits.

Si la traduction du Nouveau Testament avait été possible en un temps record pour Luther, les travaux de traduction de l'Ancien Testament ont pris en tout 13 ans. Le texte original hébreu, en particulier, posait problème à Luther. C'est pourquoi il demanda l'aide de son ami Philipp Melanchthon, professeur de langue hébraïque. Le premier ouvrage en deux volumes, une édition complète de tous les livres bibliques, fut publié en 1534 par Hans Luft à Wittenberg. Luther peaufina sa traduction jusqu'à la fin de sa vie.

Le tirage total de l'édition de la Bible en allemand de Luther est estimé à un demi-million d'exemplaires. Ses écrits représentaient ainsi près d'un tiers de la production de livres en langue allemande dans la première moitié du 16e siècle. Cet énorme succès a incité nombre de ses élèves et d'autres auteurs à utiliser ce qu'on appelle l'"allemand de Luther" dans leurs écrits. La Réforme, l'imprimerie et Martin Luther ont donc également joué un rôle important dans l'émergence d'une langue écrite en haut allemand.

Au Moyen Âge, les livres sont un luxe. Les moines passent des heures à recopier des textes et à les orner de lettres et d'images décoratives. Les matériaux et les efforts sont coûteux. C'est pourquoi seules les personnes très riches pouvaient s'offrir des livres. Du moins jusqu'à ce que Johannes Gutenberg révolutionne la production de livres en 1450 avec un nouveau procédé d'impression.

Matthieu Denni

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