500 ans de Réforme à Mulhouse
Roland Kauffmann,
article paru dans L'Almanach Sainte-Odile 2023,
Service communication du Diocèse de Strasbourg, 2022, "Juillet", pp.74-75
Par son ordonnance du 29 juillet 1523, le Magistrat de Mulhouse introduisait la Réforme protestante à Mulhouse. Un événement qui sera commémoré durant l'année 2023 pour marquer le 500e anniversaire de ce basculement religieux et politique pour la ville.
Copie de l'ordonnance du 29 juillet 1523 signifiant le début de la Réforme protestante à Mulhouse |
« Nous, bourgmestre et Conseil de la Ville de Mulhouse, faisons savoir à tous et à chacun, tant ecclésiastiques que laïcs, bourgeois et habitants de cette ville, quelque soit leur dignité et leur état, que le chrétien est lié à la Parole de Dieu, qu’il ne doit attendre son salut que de cette Parole et qu’il est tenu d’y conformer sa vie à la doctrine qui y est renfermée ». Dès les premiers mots de cette ordonnance se trouvent résumés les grands principes de la Réforme, à savoir l'universalité (« tous et chacun »), l'égalité (« tant ecclésiastiques que laïcs »), l'enracinement dans la Parole de Dieu discernée dans les Écritures (deux des principes protestants fondamentaux : Sola Gratia et Sola Scriptura : par la grâce seule, par l'écriture seule) et l'exigence éthique, dans toutes les dimensions de la vie, d'une cohérence entre la foi et l'existence.
Comprendre les conditions de la Réforme
Mais réfléchir à l'événement historique implique de se départir de certains de nos biais d'analyse afin d'éviter tout contre-sens comme toute volonté de transposition dans nos situations contemporaines. Au premier plan de ces biais figure évidemment notre compréhension d'une séparation entre identité civile et religieuse, autrement dit notre conception contemporaine de la laïcité. Si aujourd'hui il est possible de revendiquer une citoyenneté affranchie d'une adhésion confessionnelle, ce n'est pas le cas dans l'Europe du XVIe siècle. Vivre dans une cité à l'époque, c'est nécessairement en partager la culture dont l'organisation religieuse est évidemment centrale car elle ne peut être séparée des diverses allégeances politiques et des relations d'alliances militaires et économiques. Le corps social de ce temps répond à des règles qui ne sont plus les nôtres.
Il faut aussi comprendre que les Mulhousiens de 1523 n'avaient pas conscience de ce qu'ils faisaient et ne disaient pas adhérer au « protestantisme » car le concept même d'une autre confession que la catholique romaine n'existait pas encore. Ce n'est qu'à partir de 1529 et la Protestation de Spire que les princes allemands vont se distinguer entre « protestants » et « fidèles à l'Église de Rome ». Les mulhousiens décident seulement de réorganiser leur vie religieuse et ne se prononcent pas non plus sur les aspects doctrinaux. Seuls comptent alors les principes d'une vie digne de l'évangile et la compréhension par tous, et donc nécessairement en langue allemande, des homélies. Les messes « basses » ou « accélérées » sont également interdites.
Une Réforme progressive
La Réforme mulhousienne n'est pas réalisée en 1523. Plusieurs étapes seront nécessaires pour l'installer durablement, parmi lesquelles l'abolition de la messe en 1528, l'adoption de la confession de foi helvétique en 1536, l'adoption du catéchisme de Heidelberg en 1563 jusqu'à l'intervention bâloise en 1587, date à partir de laquelle on peut considérer le protestantisme comme étant la religion de Mulhouse jusqu'à l'absorption de la ville par la France en 1798. Cette « Réunion » à la jeune République ouvrant de nouvelles perspectives économique et la voie à l'installation d'une population ouvrière de confession catholique. La bascule démographique entre protestants et catholiques s'effectue au milieu du XIXe siècle mais le pouvoir politique et économique restera aux mains des élites protestantes jusqu'à l'annexion allemande de 1870.
Une Réforme helvétique
Les Mulhousiens de 1523 ne font pas non plus référence à Martin Luther. Celui-ci ayant été excommunié en 1521, ils ne s'en revendiquent pas. Ce n'est pas une affaire de prudence mais là aussi de contexte culturel et politique.
Bien que faisant juridiquement partie du Saint Empire Romain Germanique, Mulhouse est liée aux cantons helvétiques. Une proximité liée à la résistance commune aux Habsbourg depuis le XIIIe siècle. C'est donc tout naturellement que Mulhouse accueille les idées non pas des « luthériens » mais des réformateurs helvétiques tels que Œcolampade, Bullinger, ou encore le réformateur de la Suisse alémanique, Ulrich Zwingli dont le grand principe : « être chrétien ne signifie pas parler du Christ mais mener sa vie comme le Christ l'a fait » a manifestement inspiré l'ordonnance mulhousienne de 1523.
Une Réforme libérale et humaniste
Les mulhousiens de 1523 ne sont pas pour autant « zwingliens », pas plus que « luthériens ». Leur adhésion aux idées nouvelles est le fruit d'influences diverses mais qui toutes se situent dans le monde helvétique. La distinction est essentielle car elle distingue le protestantisme mulhousien du reste du protestantisme alsacien comme du futur protestantisme français. Mulhouse est en 1523 à la confluence des divers courants de Réforme comme de l'Humanisme et ses relations privilégiées avec Bâle font aussi que le protestantisme mulhousien est jusqu'au XIXe siècle au moins fortement lié à celui de son alliée.
Dans ce monde helvétique du XVIe siècle « tous les citoyens sont paroissiens et tous les paroissiens sont citoyens » selon la belle formule du théologien Bernard Reymond et c'est pourquoi le protestantisme mulhousien dont nous fêterons le 500e anniversaire en 2023 a ceci de particulier qu'il est l’œuvre des mulhousiens eux-mêmes, représentés par leur greffier-bourgmestre, Jean-Oswald Gamshart et le chapelain de l'église paroissiale Saint-Étienne, natif de Mulhouse, Augustin Gschmus. Il n'y a pas à Mulhouse de grande figure de réformateur, même pas Nicolas Prugner qui doit quitter la ville avant 1526.
C'est
tout l'objet du colloque organisé par l'association Saint-Étienne
Réunion, à Mulhouse et Bâle, les 27 et 28 octobre 2023 que de
revenir sur cette histoire particulière ainsi que sur ses
développements et ses évolutions durant cinq siècles dans le
périmètre du Rhin supérieur.
Au cœur de la ville, le temple Saint-Étienne, avec ses dimensions monumentales, rares en protestantisme, est le symbole de son histoire si particulière à Mulhouse |
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