25 mars 2022
100 9-6 La Générosité terrasse l'Avarice
Largitas Avaricia
Traditionnellement désigné comme la victoire de la vertu de générosité sur le vice de l'avarice, le vitrail d'aujourd'hui a une portée bien plus large que la simple générosité pécuniaire comme le laisserait penser la notion d'avarice.
Car l'avarice est à notre époque attachée à la dimension économique, formatés que nous sommes par le personnage de Walt Disney, L'oncle Picsou, avatar moderne de l'avare Ebenezer Scrooge créé par Dickens dans son célèbre Conte de Noël. Ce glissement sémantique n'est pas anodin car si l'on réfléchit en termes purement financiers, la générosité devient alors une vertu qui, contrairement aux autres qui se renforcent d'elles-mêmes, s'épuiserait à force d'être pratiquée sauf à disposer de ressources illimitées ou toujours renouvelées. Ce qui n'est pas le cas de la plupart d'entre nous et l'était encore moins pour les fidèles mulhousiens du XIVe siècle. C'est donc bien sur un autre terrain qu'il faut comprendre la vertu de « largesse ».
Car c'est bien cette idée de largesse qu'évoque le nom latin de notre vitrail : largitia. Ainsi comprise comme une largesse, la générosité déborde le cadre strictement économique. Bien sûr qu'il nous faut être généreux et libéral par la pratique des dons aux œuvres, associations et mouvements, aujourd'hui largement défiscalisés d'ailleurs. C'était d'ailleurs sans doute à la pratique de l'aumône que renvoyait originellement ce vitrail particulier, une aumône que peu d'entre nous pratiquent encore aujourd'hui. Mais il ne s'agit encore là que de notre « Avoir », ce dont nous disposons matériellement, alors que c'est notre « Être » qui devrait être généreux, large et libéral.
Plus qu'une simple générosité caritative, c'est en effet d'une disposition morale et spirituelle qu'il est ici question. L'avarice n'est alors plus la simple cupidité ou le désir d'accumulation de biens matériels comme le suggère L'oncle Picsou mais une sécheresse du cœur et de l'âme, fermés à la compassion et à l'attention envers les autres. Elle devient alors le recroquevillement identitaire en œuvre dans nos sociétés traversées par l'inquiétude du lendemain et la peur de l'autre. L'avarice devient encore synonyme de fermeture intellectuelle, d'oubli de l'histoire, d'intolérance spirituelle et d'autoritarisme politique ou religieux. Ce que notre vitrail montre simplement, c'est la victoire de la liberté, de la création, de l'ouverture et de la confiance sur les forces d'oppressions, de destructions, de fermetures et de menaces.
« Élargis l'espace de ta tente ! » disait déjà le prophète Ésaïe (54, 2) et ce sont à la fois nos esprits, nos cœurs et nos âmes que nous demande d'élargir notre vitrail. Ce n'est pas seulement en effet un espace physique, territorial, qui doit être élargi mais bien notre espace culturel, philosophique et politique, intellectuel et social. Largesse de notre avoir, de notre être, de notre espace mais aussi de notre temps. C'est aussi du temps qu'il faut donner sans compter, comme on donne de l'attention, du cœur et des biens. Donner sans espérer recevoir en retour, dans ce geste magnifique auquel nous invite le philosophe biblique, « jette ton pain à la surface des eaux, car avec le temps tu le retrouveras » (Ecclésiaste 11, 1), c'est une image de la grâce et de l'amour, entre nous, et entre Dieu et nous.
« Aimer, donner, pardonner, créer » sont les quatre formes que devraient prendre chacune de nos actions1. Ainsi la générosité, comprise comme une largesse d'esprit, de cœur, de corps et d'âme, ne s'épuise-t-elle plus en vain mais au contraire se nourrit d'elle-même. La générosité qui l'emporte sur l'avarice, c'est la fertilité qui l'emporte sur l'aridité, l'abondance sur la restriction, le courage sur la peur et la vérité sur le mensonge. C'est la justice et la liberté, la bonté et la beauté, en un mot l'amour !
C'est en effet d'aimer qu'il est question dans cette lutte perpétuelle qui nous est montrée dans cette série consacrée à la lutte entre les vertus et les vices mais aussi dans les vertus évangéliques. Et quelle plus belle conclusion à cette série que la parole du Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » ? C'est aussi dire qu'il ne suffit pas d'aimer en général et en principes mais bel et bien d'aimer comme nous le sommes. Autrement dit sans mesures ni limites mais dans le don absolu de soi pour le bonheur, le bien, de l'autre, en étant absolument centré sur l'autre ; en ne rendant jamais le mal pour le mal mais en recherchant le bien, même pour ses ennemis. Bien sûr que cela paraît être une folie mais l'évangile n'a jamais prétendu être une sagesse à la mode. Et c'est pourtant bien à cette éthique du pardon et de l'amour inconditionnels que nous invitent, à travers les siècles, nos vitraux.
Roland Kauffmann
1Traité des vertus, Vladimir Jankélévitch, II, XI, VII « De la gratitude à la gratuité. Pardon et don gracieux », Bordas, 1949, p.495.
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