Un vitrail par jour 71

17 mars 2021

Pourquoi ressusciter ?

La délivrance de Jonas. Le prophète Jonas est rejeté sur le rivage par le poisson.

Ce vitrail est actuellement placé par erreur, à côté de l'ensevelissement du Christ, au lieu d'être à côté de la résurrection comme nous le proposons ici. À l'origine un autre vitrail représentait l'avalement de Jonas qui entrait tête la première dans le poisson.

Jonas 2, 1-10

1 Jonas, dans le ventre du poisson, pria l’Éternel, son Dieu. 2 Il dit : Dans ma détresse, j’ai invoqué l’Éternel, Et il m’a exaucé ; Du sein du séjour des morts j’ai crié, Et tu as entendu ma voix. 3 Tu m’as jeté dans l’abîme, dans le cœur de la mer, Et les courants d’eau m’ont environné ; Toutes tes vagues et tous tes flots ont passé sur moi. 4 (Je disais : Je suis chassé loin de ton regard ! Mais je verrai encore ton saint temple. 5 Les eaux m’ont couvert jusqu’à m’ôter la vie, L’abîme m’a enveloppé, Les roseaux ont entouré ma tête. 6 Je suis descendu jusqu’aux racines des montagnes, Les barres de la terre m’enfermaient pour toujours ; Mais tu m’as fait remonter vivant de la fosse, Éternel, mon Dieu ! 7 Quand mon âme était abattue au dedans de moi, Je me suis souvenu de l’Éternel, Et ma prière est parvenue jusqu’à toi, Dans ton saint temple. 8 Ceux qui s’attachent à de vaines idoles éloignent d’eux la miséricorde. 9 Pour moi, je t’offrirai des sacrifices avec un cri d’actions de grâces, J’accomplirai les vœux que j’ai faits : Le salut vient de l’Éternel. 10 L’Éternel parla au poisson, et le poisson vomit Jonas sur la terre.

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Dans son essai Dans le ventre de la baleine, George Orwell décrit la situation de la littérature à l'aube de la guerre. À la faveur d'une critique de l'ouvrage de Tropique du Cancer de Henry Miller, il convoque T.S. Eliot, Aldous Husxley, John Dos Passos, Ezra Pound ou encore James Joyce, la fine fleur des romanciers anglo-saxons en somme et il les renvoie tous d'une manière ou d'une autre à Jonas dans le ventre de sa baleine et à leur irresponsabilité alors que le monde s'effondre, nous sommes en 1940 !

George Orwell, à la différence de Ludolphe de Saxe, a lu la Bible et il sait bien qu'elle parle d'un poisson mais « les enfants pensent tout naturellement à une baleine et cette représentation [qui] persiste généralement à l'âge adulte [est le] signe de l'emprise que le mythe de Jonas exerce sur notre imagination. (…) innombrables sont les gens qui ont secrètement envié son sort dans leurs rêves éveillés. » En effet, ce que George Orwell reproche à Henry Miller et avec lui, à toute sa génération d'intellectuels, c'est d'accepter la fuite vers l'abîme en se réfugiant dans une forme de pensée classique, dans une inquiétude existentielle ou dans une paresse de la pensée faite de conformismes.

L'histoire de Jonas est tout entière dans ce dilemme. Voilà un prophète que Dieu envoie à Ninive, la capitale de l'empire assyrien qui a déporté les tribus d'Israël hormis la tribu de Juda et celle de Benjamin. Refusant la mission, il s'enfuit sur un bateau, lequel est pris dans une tempête. L'équipage comprenant qu'un dieu est en colère jette le responsable de cette colère à la mer. Un poisson avale le naufragé et celui-ci est finalement assez content de son sort, il se pense à l'abri. L'acte essentiel de Jonas est d'accepter son sort dans la mesure où il lui semble servir ses intérêts à court terme. Peu lui importe d'être avalé par un poisson, pourvu qu'il s'éloigne de Ninive. Comme Gepetto, le père de Pinochio, dans le ventre de Monstro imaginé par Carlo Collodi, il se fait sa petite vie à l'abri du monde et de ses fureurs.

Mais l'Éternel ne l'entend pas de cette oreille. S'il a fait avaler Jonas par le poisson, ce n'est pas pour qu'il continue sa fuite mais au contraire pour qu'il soit ramené à sa mission, à ce pour quoi il a été appelé : à prêcher la rédemption au peuple violent et corrompu de Ninive. Quelle n'a pas dû être sa déception lorsque Jonas s'est retrouvé jeté sur la grève et qu'il a compris qu'il n'avait pas d'échappatoire. Il ira donc à Ninive où les choses se passeront comme il le craignait. C'est-à-dire qu'au lieu d'être rejeté par les habitants de Ninive, ceux-ci vont l'écouter et se repentir de leurs fautes devant le Dieu créateur du ciel et de la terre. Or c'est précisément ce que Jonas ne voulait pas ! Il savait bien que l'Éternel est un dieu qui pardonne. Il aurait préférer annoncer la désolation et la destruction, la chute de Ninive. Jonas est par excellence le prophète insatisfait de son Dieu qui ne fait pas ce que son prophète aimerait, à savoir détruire purement et simplement Ninive comme il a détruit Sodome et Gomorrhe. Il est à notre image lorsque nous refusons d'aimer notre prochain parce que nous préfèrerions qu'il soit puni ou asservi.

Une baleine qui renvoie à notre responsabilité

La baleine, pour reprendre l'idée mythologique, représente tous nos conforts intellectuels ou politiques qui nous empêchent de voir le monde tel qu'il est. C'est aussi cette forme de La trahison des clercs que dénonçait en son temps Julien Benda à savoir lorsque refusant de prendre la mesure des enjeux de l'entre-deux guerres il aurait fallu résolument envisager une nouvelle organisation politique des rapports entre les nations afin d'éviter la guerre. La baleine, c'est tout ce qui nous conforte dans nos idées et nos a-priori. Mais c'est aussi ce qui nous renvoie, à notre corps défendant, à notre responsabilité d'hommes et de femmes de foi, porteurs d'une parole qui libère et réconcilie, qui relève les affligés et élève les humiliés, qui console les éprouvés et encourage les solidaires.

Les deux images de la baleine, celle qui enferme dans le confort spirituel, qui nous ensevelit, et celle qui renvoie vers notre responsabilité, qui nous fait ressusciter sont le reflet de l’œuvre du Christ qui ne s'est pas résigné au confort de la mort mais est revenu pour libérer l'homme de ses idoles et lui rendre son visage divin. La baleine où nous cherchons des excuses pour ne pas nous mettre au service de nos frères et sœurs est en fait la même qui nous renvoie auprès d'eux. La baleine qui nous avale, c'est aussi celle de l'air du temps, celle qui nous dit qu'il n'y a pas d'alternative, qu'il n'y a pas d'autre monde qui soit possible. La baleine qui nous renvoie sur la plage, c'est celle qui défend une pensée libre et autonome, affranchie des modes, refusant toute forme de résignation au monde tel qu'il va. C'est celle qui nous dit de ne pas laisser le monde aller à sa perte sans faire tout ce que nous pouvons pour éviter la catastrophe. C'est toute l'histoire de la conversion de Jonas dans ce même ventre de la baleine que de découvrir que l'histoire n'est pas écrite et qu'il peut toujours en aller autrement que ce que nous imaginons ou pensons. Pour peu que nous osions prendre au sérieux la Parole du Dieu ressuscité.

Roland Kauffmann

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