Un vitrail par jour 70

16 mars 2021
Il est vraiment ressuscité !

La Résurrection du Sauveur. Le Christ, tenant de la main gauche l'étendard de la croix et bénissant de la main droite, sort du tombeau. Devant le tombeau, deux gardiens endormis.

Matthieu 28, 1-4

1 Après le sabbat, à l’aube du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l’autre Marie allèrent voir le sépulcre. 2 Et voici, il y eut un grand tremblement de terre ; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s’assit dessus. 3 Son aspect était comme l’éclair, et son vêtement blanc comme la neige. 4 Les gardes tremblèrent de peur, et devinrent comme morts. 5 Mais l’ange prit la parole, et dit aux femmes : Pour vous, ne craignez pas ; car je sais que vous cherchez Jésus qui a été crucifié. 6 Il n’est point ici ; il est ressuscité, comme il l’avait dit. Venez, voyez le lieu où il était couché, 7 et allez promptement dire à ses disciples qu’il est ressuscité des morts. Et voici, il vous précède en Galilée : c’est là que vous le verrez. Voici, je vous l’ai dit.

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Parmi les quatre évangiles, celui de Matthieu est le seul qui nous parle de soldats préposés à la garde de la tombe de Jésus et renversés de peur. Mais aucun des évangiles ne montre le Christ sortant du tombeau. Il attend ses disciples en Galilée pour Matthieu tandis qu'un ange roule la pierre du tombeau déjà vide. Chez Marc, la pierre est déjà roulée quand arrivent les femmes qui trouvent un jeune homme qui leur annonce que Jésus les attend en Galilée. Pour Luc, ce sont deux hommes resplendissants qui font le même annonce mais hors du tombeau dont la pierre est déjà roulée. Enfin pour l'évangile de Jean, ni anges ni gardes mais une pierre déjà enlevée et un tombeau vide dans une absence magistrale.

Une telle abstraction ne saurait satisfaire la piété d'esprits avides de merveilleux et de surnaturel. Si l'évangile de Matthieu est le plus démonstratif avec cet ange qui roule la pierre devant les femmes, ces soldats terrorisés, les éclairs et le tremblement de terre, l'Église médiévale en rajoute encore avec cette représentation du Christ tonitruant, bouleversant les soldats et notre auteur du Speculum Humanae Salvationis décrit la disposition du Saint Sépulcre et se montre tellement précis qu'il distingue le « corps subtil » du Christ capable de traverser la pierre et l'action réelle de l'ange qui roule la pierre. Une distinction trop subtile pour notre artisan verrier qui préfère directement montrer le corps du Christ avec le tombeau renversé.

Cette représentation n'a pas d'autre réalité que l'imagination de l'artiste. Là où les quatre évangiles insistent sur le caractère non représentable de l'évènement inimaginable, c'est-à-dire ne pouvant être mis en image, qu'est la représentation, nos deux auteurs, le moraliste qu'est Ludolphe de Saxe et le verrier anonyme font exactement l'inverse des évangiles. La chose qui ne pouvait justement pas être montrée tant elle dépasse notre imagination, ils lui donnent une forme propre à impressionner les esprits. Ce Christ avec son étendard victorieux et sa main bénissante ressemble plus à l'idée que s'en sont faite les artistes qu'à ce qu'a due être vraiment la résurrection.

L'imaginaire religieux qui est aujourd'hui encore le notre est forgé par ces représentations littéraires, poétiques, musicales ou visuelles. Ce qui n'est pas en soi un problème mais le devient lorsque nous confondons ces représentations avec une quelconque forme de réalité. En d'autres termes, lorsque nous oublions que ce sont des images, autrement dit des formes éphémères qui ne sont jamais que l'apparence de ce qu'elles représentent. Ce ne sont jamais que des images ! Et l'idée même que l'on puisse penser que le traitement d'une image puisse être un blasphème est la marque d'une de ces superstitions dont le Christ est venu nous libérer. Comme l'idée même que l'on puisse croire un seul instant que l'image, même sur un vitrail, nous montrerait la vérité des choses. Toute image est par définition une construction, une vue d'artiste et le résultat d'un choix d'interprétation qui en dit plus sur l'artiste que sur la réalité qui est représentée. Il en est déjà de même pour les textes bibliques et évangéliques qui, par le jeu de leurs différences, enrichissent la réflexion spirituelle. Entre le fait et l'image que nous en recevons, il y a tout l'intermédiaire de l'art qui transforme forcément ce qu'il prétend représenter.

Représenter l'irreprésentable

Les deux artistes que sont Ludolphe de Saxe, quand il donne un véritable guide touristique décrivant les lieux du tombeau pour ceux qui ne pourront jamais y aller, et l'artisan verrier quand il nous montre un Christ finalement assez doux, laissant dormir les soldats et faisant un geste de bénédiction qui nous est adressé, à nous qui à travers les siècles contemplons ce qui ne peut être vu, et voyons ce qui ne peut être représenté, nous parlent finalement d'un Dieu proche de nous. Et en cela retrouvent l'esprit de l'évangile, chacun dans son art propre.

En effet, ce tombeau, déjà vide, cette pierre roulée par quelque chose qui nous dépasse nous renvoie à notre intimité. C'est là, dans le secret de nos cœurs et de nos intelligences, dans les raisons qui nous poussent à agir ou pas, dans les plus secrets espoirs de vie nouvelle ou meilleure, que se réalise la résurrection du Christ : lorsque sa parole nous rejoint et se fait chair, esprit et vie pour nous, dans notre réalité la plus concrète et la plus essentielle.

Roland Kauffmann

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