Un vitrail par jour 38

15 décembre – Jour de fête à Jérusalem

Le Christ pleure durant son entrée à Jérusalem, le jour des Rameaux : XPC [Christus] FLEVIT1 SUPER IERUSALEM. Le Christ, monté sur une ânesse, entre dans Jérusalem, dont il prédit la chute et déplore le sort. Il est suivi de ses disciples, nimbés et devant lui des habitants de la ville étendent des vêtements sur le sol.

Luc 19, 35-41

35 [Les disciples] amenèrent à Jésus l’ânon, sur lequel ils jetèrent leurs vêtements, et firent monter Jésus. 36 Quand il fut en marche, les gens étendirent leurs vêtements sur le chemin. 37 Et lorsque déjà il approchait de Jérusalem, vers la descente de la montagne des Oliviers, toute la multitude des disciples, saisie de joie, se mit à louer Dieu à haute voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus. 38 Ils disaient : Béni soit le roi qui vient au nom du Seigneur ! Paix dans le ciel, et gloire dans les lieux très hauts ! 39 Quelques pharisiens, du milieu de la foule, dirent à Jésus : Maître, reprends tes disciples. 40 Et il répondit : Je vous le dis, s’ils se taisent, les pierres crieront ! 41 Comme il approchait de la ville, Jésus, en la voyant, pleura sur elle.

Remarquons avant tout l'extrême concision avec laquelle notre auteur aura résumé le ministère du Christ et le message de l'évangile. Il lui aura suffi pour cela de deux chapitres (XIII et XIV) du Speculum Humanae Salvationis repris sous la forme de six vitraux alors qu'il aura consacré douze chapitres, illustrés par trente-et-un vitraux, à la dimension divine de Marie, depuis sa propre conception jusqu'à la naissance et l'enfance de Jésus. Du message évangélique, Ludolphe de Saxe ne retient aucune des grandes prédications telles que le Sermon sur la montagne, ni les béatitudes, ni le Notre Père, ni les grandes paraboles. Il ne retient pas non plus les miracles ni les controverses avec les autres écoles de réforme du judaïsme qu'étaient les Pharisiens et les Sadducéens. Seuls l'auront intéressé l'épisode des trois tentations (vitrail 32) et celui du lavement des pieds par la femme pècheresse (vitrail 35). Autrement dit, seuls comptent pour lui la victoire sur le diable et l'absolue compassion de Dieu pour le pécheur, le reste en est la conséquence et il n'estime pas utile de s'y attarder.

Avec l'entrée de Jésus à Jérusalem, notre auteur aborde le cœur de son sujet, à savoir la passion du Christ qui est pour lui la tragédie originelle, celle dont toute la suite de l'histoire découlera mais aussi l'évènement vers lequel toute l'histoire passée convergeait. Cette interprétation théologique de l'histoire dont le sens ne dépend pas des évènements des empires ou de la vaine agitation des hommes mais se résume dans la manifestation concrète de la volonté de Dieu de sauver l'humanité par le moyen de l'incarnation, de la mort et de la résurrection du Christ est le sujet du Speculum et des vitraux du temple Saint-Étienne.

Nous avons coutume aujourd'hui dans les Églises chrétiennes de célébrer l'entrée de Jésus à Jérusalem comme un jour de joie où nous pavoisons parfois nos lieux de cultes de forsythias, plante de saison sous nos latitudes et dont la couleur jaune nous rappelle que le printemps est là. Ce faisant, nous renouons sans forcément en avoir conscience avec le grand rythme des saisons. Sous couvert de nous préparer joyeusement à Pâques, nous célébrons le retour des beaux jours qui sera manifesté par les œufs pondus par des lapins dans nos jardins. Cette atmosphère joyeuse de nos églises printanières oublie ce que nous rappelle notre vitrail : que Jésus pleura le jour de son entrée à Jérusalem.

La vraie religion

Il pleure parce qu'il sait qu'il n'y sera pas reçu comme il le devrait. Il pleure parce que les jours qui viennent seront terribles pour lui et ses disciples mais aussi parce qu'ils seront terribles pour la ville. Ce même jour, souligne Ludolphe, Jésus chassera les marchands du temple et annoncera la destruction du temple qui n'est plus une maison de prières pour tous les peuples mais le lieu où chacun s'achète une paix illusoire et de bon marché avec sa conscience. Lorsque le temple a perdu sa vocation, lorsque la foi a perdu son altruisme et ne sert plus que les intérêts particuliers de ceux qui s'en réclament, lorsqu'un culte ou une culture ne sert plus qu'à opposer les uns aux autres, ceux qui en sont contre ceux qui n'en sont pas, alors sa perte est proche.

Pourtant Jérusalem signifie « vision de paix ». C'est en tout cas l'étymologie traditionnelle qu'a retenu l'Église et que Ludolphe qualifie de mystique puisque pour lui, la Jérusalem terrestre signifie avant tout l'âme des fidèles : « Jérusalem est interprétée vision de paix, par quoi est spirituellement désignée l'âme bonne et loyale à laquelle Jésus-Christ est prêt à venir à toute heure et nous devons aller à l'encontre de lui par contrition et repentance. » Et il continue dans son intention d'éducation à une vie de piété en insistant sur le fait que nous allons à lui « quant nous nous ornons de sept œuvres de miséricorde » (cf. vitrail 26). Cette articulation constante entre le récit de la vie de Jésus, sa signification dans le grand dessein de Dieu et sa concrétisation permanente dans la vie quotidienne du fidèle fait tout l'intérêt de l'ouvrage et partant de nos vitraux puisqu'il ne peut y avoir de foi, aussi sincère et convaincue soit-elle qui ne se manifeste très concrètement par les œuvres de charité, de compassion et d'attention à autrui car aucune religion ou confession particulière ne peut prétendre à la vérité autrement que par la voie empruntée par le Christ, à savoir l'abnégation et le don de soi pour le bien de son prochain.

Roland Kauffmann

1Flĕo, pleurer

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