Le temps qui passe 6

Mercredi 30 décembre 2020

La raison est la fille du temps et elle attend tout de son père

Voltaire


Nashmia Noormohamed

il naît une vie qui s’écoule, en un temps infini et pourtant prédéfini, un seul temps, le même qui voit le chêne s’affirmer et l’enfant s’affermir, le même temps qui change de saisons, pour rappel …

il naît dans ce corps étroit un infime mouvement qui change le cours du monde parfois, voire invariablement le dirige, une présence qui s’impose et qui par son absence, interpelle…

il naît, comme il pleut, comme il vente, comme il fait beau, un éclat de cette nature généreuse, un écrin pour certains, un essaim pour d’autres, un sens dans ce vaste monde, une étincelle rebelle…

il naît puis il meurt, voyageant de jour comme de nuit, il traverse le temps, croit se l’approprier pour enfin comprendre que le temps est compté, mesuré, décompté, oublié, passé et unidirectionnel…

il naît en sachant qu’il mourra, s’accommodant du jour qui précède la nuit, de la nuit qui laisse place au jour; il naît pour un jour mourir, ne sachant ce qu’il adviendra sous ce ciel…

il naît une vie empruntant une route, un chemin, une certaine direction, laissant quelques empreintes, qui seront effacées dans le sable; nul ne pourrait jurer de sa trajectoire ni de sa destination réelle…

*

Si Carl Loewe n'atteint pas à la grandeur de Franz Schubert, dont il est le contemporain, ce compositeur allemand n'en reste pas moins, par son talent, son imaginaire et sa sensibilité, un créateur attachant, aux fulgurances parfois étonnantes.

Johann Carl Gottfried Loewe, né à Löbejün, près de Halle, le 30 novembre 1796, deux mois avant Schubert, reçoit de son père ses premières leçons de musique. En 1807, il devient enfant de chœur à la chapelle de la cour de Köthen ; en 1809, il part pour Halle afin d'étudier avec le théoricien et compositeur Daniel Gottlob Türk ; dès l'âge de treize ans, il écrit déjà des lieder : son opus 1 no 3, daté de 1818 (il a vingt-deux ans) est un lieder sur le célèbre Erlkönig (« Le Roi des aulnes ») de Goethe, mis en musique par Schubert trois ans auparavant mais qui ne sera publié par ce dernier qu'en 1821.

La beauté de sa voix le fait remarquer par Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie, qui lui octroie une pension annuelle de 300 thalers afin qu'il puisse se consacrer entièrement à la musique. Mais la chute de Napoléon et la fuite du roi Jérôme, en 1813, vont être lourdes de conséquences pour Loewe, qui voit disparaître ses ressources. Il étudie la théologie et la philologie à l'université de Halle, devient en janvier 1820 professeur au Gymnasium de Stettin, puis, en novembre, organiste à la Jakobikirche de cette même ville ; l'année suivante, il est nommé directeur de la musique de cette cité, poste qu'il va occuper jusqu'en 1866. 1820 est marqué par sa rencontre avec Goethe à Iéna, Goethe qui lui inspirera de nombreuses partitions. Chanteur-pianiste (il s'accompagnait lui-même) et chef d'orchestre, il entreprendra plusieurs tournées de concerts : à Vienne en 1844, à Londres en 1847, en Norvège et en Suède en 1851, en France en 1857. Victime d'une attaque cérébrale en 1864, Carl Loewe se retire à Kiel, où il meurt le 20 avril 1869.

Nous entendrons ici le Lied « die Uhr » op 123/3 Texte de Gabriel Seidl

Partout où je vais, je porte une montre ;

Quelle que soit l'heure, elle me la donne avec précision.

Un grand maître a savamment assemblé son mécanisme,

Même si sa marche ne satisfait pas toujours mes souhaits.

Certains jours, j'aurais aimé qu'elle aille plus vite,

J'aurais aimé qu'elle ralentisse parfois sa marche rapide.

Dans la peine ou la joie, le calme ou la tempête,

Quoi qu'il m'arrivât dans la vie, elle en battait la mesure.


Elle sonnait devant le cercueil de mon père et à la tombe de l'ami,

Elle sonnait au moment où s'éveillait l'amour et le jour de mes noces.

Elle sonnait devant le berceau et sonnera souvent encore

Quand viendront les jours meilleurs comme mon âme l'espère.


Et si parfois elle a ralenti, menaçant de s'arrêter,

Le maître me l'a toujours généreusement remontée.

Mais si son tic-tac cessait, alors c'en serait fini d'elle,

Nul autre que celui qui l'a conçue ne saurait la remettre en route.


Il faudrait alors que j'aille trouver le maître, il habite peut être bien loin,

Au diable sans doute, de l'autre côté de la terre, dans l'éternité !

Je la lui rendrait, suppliant et reconnaissant comme un enfant.

« Regarde Seigneur, je n'ai rien gâté, elle s'est arrêtée d'elle-même »



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