Un vitrail par jour 66

12 mars 2021

Vaincre le mal à la source

Éhud tue Églon, roi des Moabites. Éhud, barbu, debout, dirige la pointe de son épée vers le roi Églon, qui est assis sur un trône, le sceptre fleurdelisé à la main gauche. Derrière lui, le mur crénelé de Moab.

Juges 3, 16-23

16 Éhud se fit une épée à deux tranchants, longue d’une coudée, et il la ceignit sous ses vêtements, au côté droit. 17 Il offrit le présent à Églon, roi de Moab : or Églon était un homme très gras. 18 Lorsqu’il eut achevé d’offrir le présent, il renvoya les gens qui l’avaient apporté. 19 Il revint lui-même depuis les carrières près de Guilgal, et il dit : Ô roi ! J’ai quelque chose de secret à te dire. Le roi dit : Silence ! Et tous ceux qui étaient auprès de lui sortirent. 20 Éhud l’aborda comme il était assis seul dans sa chambre d’été, et il dit : J’ai une parole de Dieu pour toi. Églon se leva de son siège. 21 Alors Éhud avança la main gauche, tira l’épée de son côté droit, et la lui enfonça dans le ventre. 22 La poignée même entra après la lame, et la graisse se referma autour de la lame ; car il ne retira pas du ventre l’épée, qui sortit par derrière. 23 Éhud sortit par le portique, ferma sur lui les portes de la chambre haute, et tira le verrou.

-------------------------------------

N'en déplaise aux tenants de la loi et de l'ordre, la Bible est un livre profondément subversif et les grandes idéologies totalitaires, qu'elles soient politiques ou religieuses, ne s'y sont pas trompées en cherchant par tous les moyens à en empêcher la diffusion, la lecture et l'appropriation par les gens ordinaires. Elle pourrait donner de mauvaises idées aux peuples opprimés. Ainsi de cet épisode du meurtre du roi de Moab, peuple qui dominait Israël en ce temps-là, par cet aventurier considéré ensuite comme sauveur d'Israël qu'est Éhud. Un meurtre par ruse qui permettra ensuite une victoire militaire aux israélites contre les Moabites.

Cet épisode se situe peu de temps après l'entrée d'Israël dans la Terre promise et à la mort de Josué, successeur de Moïse, le peuple, bien qu'encadré par les prêtres n'a pas tardé à oublier la Torah et à sacrifier aux divers dieux des populations autochtones dont les Philistins, peuplade d'origine crétoise, sur la côte méditerranéenne et les Moabites à l'est de la Mer Morte. Pour punir son peuple de l'avoir abandonné, l'Éternel le soumet au joug de ces derniers jusqu'à ce qu'il suscite un « sauveur » en la personne de Éhud. Loin de l'image que nous pouvons avoir parfois d'un Israël fidèle à la Loi de Dieu, la Bible nous montre au contraire d'une société retombant toujours dans les mêmes ornières et ayant toujours besoin d'un libérateur.

La Bible conjoint toujours le destin individuel et le destin collectif. Elle ne fait pas notre différence moderne entre l'individu et la société qui l'englobe. Et Ludolphe de Saxe l'a bien compris lorsqu'il donne comme préfiguration de la victoire finale du Christ sur le démon (vitrail n°64), deux illustrations de la lutte personnelle et collective contre le mal. De même que l'individu doit lutter contre le mal dans sa vie quotidienne (vitrail n°65), c'est le peuple, c'est-à-dire la société représentée ici par son héros, Éhud, qui doit collectivement lutter pour sa liberté. Deux victoires, individuelle et collective, rendues possibles par la victoire initiale du Christ sur le démon.

Dans sa description des luttes personnelles contre les tentations qui sont « comme ce jeune lion rugissant » notre auteur médiéval insiste surtout sur les suggestions nocturnes qui devaient assaillir les jeunes moines astreints à une abstinence conjugale et dans son commentaire du meurtre d'Églon, il insiste sur le fait que celui-ci « était très gras ». Une caractéristique physique que ne reprend pas l'artisan verrier qui insiste au contraire sur les attributs de la puissance politique que sont, la couronne, les vêtements, le trône imposant et le sceptre à fleur de lys.

Une libération collective

Le texte du Miroir du salut du genre humain, fait le parallèle entre l'obésité physique du roi et l'insatiabilité du démon qui est « un ventre sans fin », dont l'appétit ne connaît aucune limite. Le vitrail, quant à lui, souligne l'appétit de puissance propre à la sphère du politique lorsqu'elle confond les notions de bien commun et la politique de la force. Après la libération intérieure représentée par la série des vitraux 61 à 63, cette série de trois vitraux (64 à 66) souligne la libération face à toutes les forces d'oppression et de domination, d'exploitation et de manipulation dont nos sociétés, d'hier comme d'aujourd'hui, sont coutumières et qu'il nous appartient de pourfendre.

À l'insatiabilité des systèmes économiques et politiques, avides d'un développement où ne font que s'accumuler les déchets détruisant notre environnement naturel et social, allant jusqu'à polluer le ciel, la terre, la mer et tout ce qui s'y trouve sans autre souci que le toujours plus au profit de quelques uns, l'épisode d'Éhud nous rappelle la nécessité du refus. Lequel passe par une revendication de sobriété et de recherche de la qualité de vie plutôt que de la quantité de biens matériels éphémères. Cette recherche de l'éternité dans nos vies individuelles et collective n'est autre que la recherche de la transcendance dans nos existences.

Roland Kauffmann

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire