Les Frères Sisters: devenir humain

Charlie et Éli, les deux frères Sisters, cow-boys à la solde d'un mystérieux "Commodore"; John Morris, détective au service du même Commodore et Hermann Kermit Warm au service d'un idéal communautaire à la recherche d'une vie meilleure pour tous: deux paires de héros en quête d'eux-mêmes et, qui sait ? d'une certaine forme de rédemption ?

Dans leur sauvagerie même, les deux frères manifestent pourtant des sentiments humains, ainsi de la compassion et de la tristesse même mais pour les chevaux, victimes collatérales de leurs meurtres exécutés de sang-froid. Morris et Warm sont à l'inverse, l'un pétri de littérature, l'autre de science, ils sont une forme de civilisation perdue dans une lie de boue. Les quatre personnages sont en quête les uns des autres mais c'est surtout eux-mêmes qu'ils cherchent. Seuls Warm et Éli savent vraiment ce qu'ils sont, Warm entièrement tourné vers une utopie (au sens théologique donc positif du terme), tourné vers l'avenir. Élie, vers le passé, vers ce déterminisme de la fatalité qui fait de lui un tueur alcoolique comme l'était son père (qu'il a tué également).

Entre la détermination totale dont il n'est aucune échappatoire et la capacité de transformer le monde d'un coup de poudre magique, Charlie et Morris représentent toutes les ambiguïtés entre le "vouloir" et le "faire". Charlie prend conscience de l'absurdité de leur existence et aspire à changer de vie sans être à aucun moment capable de le faire. Morris a quitté un univers familial aisé pour chercher une signification à son existence.

Entre la bête, Éli, et l'ange, Warm, entre celui qui croît que rien jamais ne peut changer, que l'on est ce que l'on est en raison du sang corrompu qui coule dans nos veines et celui qui croit que tout peut changer parce qu'il suffit de trouver les moyens du changement, Charlie et Morris sont englués dans leurs contradictions, dans leurs sourdes espérances, eux s'affrontent au réel et le prennent à bras le corps. Ils acceptent le risque de perdre ce qu'ils ont, ce qu'ils sont, pour devenir meilleurs. Même si cela ne va pas sans compromis avec le mode de vie qu'ils veulent quitter.

"Je ne fais pas le bien que je veux mais je fais le mal que je ne veux pas", la formule de Paul (Romains 7, 19), décrivant la condition humaine, est ainsi magnifiquement illustrée.

Au-delà de la qualité cinématographique indéniable à tout point de vue, technique comme narratif, le film de Jacques Audiard interroge la possibilité de changer sa vie, de refuser le déterminisme naturel (le sang d'Éli), familial (l'attachement de Charlie à son frère), social (la condition de Morris) et matériel (la poudre magique de Warm). La réponse qu'il propose est que c'est possible! C'est difficile, dangereux, risqué, on se trompe, on peut perdre son intégrité, voire sa vie même mais le jeu en vaut la chandelle car il est possible de se changer sans se renier, en assumant pleinement ce que l'on est, sans rejeter son origine mais en trouvant sa différence.

Une belle métaphore de la rédemption !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire