Nos meilleurs voeux

Résister à la haine

2 tim 1, 7,
« Car ce n'est pas un esprit de timidité que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d'amour et de sagesse »


Le mot d'ordre de nos Églises en ce mois de janvier résonne étrangement dans le contexte de cette « France désolée » par les attentats de l'année dernière. Notre société est inquiète pour son avenir. Nos communautés, notre Église, ont besoin de trouver les mots de la consolation et de l'élévation, de l'espérance et de la conviction. C'est en tant que civilisation, à la fois imprégnée des valeurs et des principes bibliques et des philosophies depuis l'ancienne Grèce jusqu'à notre époque, que nous sommes visés par une menace d'autant plus sournoise qu'elle cherche à saper précisément ces principes. Notre peur est légitime, elle doit être dite car il n'est pas de courage sans lucidité et compréhension de la peur, sans description de la menace. Se cacher la tête dans le sable ne sauve pas l'autruche.


Pourtant « ce n'est pas un esprit de peur mais de force, d'amour et de sagesse » qui nous a été donné. La formule de Paul est forte dans sa simplicité même. Elle est une adresse, au sens d'une méthode donnée, d'un conseil. C'est un véritable sésame pour guider sa vie en gardant à la fois lucidité et confiance.


Au moment où il rédige cette lettre, l'apôtre Paul est à la fin de sa vie. Il est emprisonné à Rome lorsqu'il adresse un ultime message de recommandations à celui qui fut son plus fidèle assistant, le jeune Timothée. Il lui délivre ses derniers encouragements à tenir ferme et à ne pas se laisser déborder. Que ce soit par l'ampleur de la tâche ou par les nombreuses difficultés qui ne manqueront pas de survenir lorsque, lui, Paul, le grand organisateur des Églises de la Méditerranée ne sera plus là et qu'il ne pourra plus conseiller les Églises.


Dans ce que l'on appelle les « lettres pastorales » (les deux lettres à Timothée et celle à Tite), Paul se révèle moins dogmatique que dans ses lettres aux Églises. Parfois, il est même en contradiction avec l'un ou l'autre point de son propre discours. Cela tient au fait qu'ici Paul ne se prononce pas sur des questions précises mais expose de grands principes généraux sur la manière de se comporter, de diriger les communautés et d'affronter les problèmes de l'heure. Et c'est à ce titre qu'elles nous sont utiles aujourd'hui pour essayer de fonder notre action et qu'elle soit à la fois « forte », «aimante» et « sage ».


Arrêtons-nous un instant sur les termes. La sagesse dont il est ici question n'est pas celle du vieux sage qui aurait une connaissance intime des choses, basée sur une longue expérience. Timothée est un jeune homme dont les « sages » se sont parfois moqués. Le terme ici traduit évoque plus la « tranquille assurance de la maturité et de la conviction ». Si nous faisons le détour par l'anglais1, « sound mind » évoque la notion de «sain de corps et d'esprit », tandis que l'allemand2 «Besonnenheit » évoque celles de « fermeté et de tranquillité », l'idée de caractère solide, tempérant, endurant.


« Il faut vaincre la Haine par l'Amour ou générosité et non la compenser par une Haine réciproque »3


Paul nous invite à garder l'esprit ferme, posé et tranquille. Et surtout dans les époques troublées ! Que l'époque soit troublée pour les Églises des premiers siècles ou pour Timothée mais aussi pour nous aujourd'hui. C'est justement la panique, la timidité, la peur, la crainte, l'hésitation, tout ce que Paul désigne ici par le terme grec signifiant littéralement «lâcheté » (deilias) qui nous livreraient à nos ennemis. Il n'est pas simplement question d'une peur subie mais véritablement d'une fuite, d'une renonciation. À la lâcheté de la fuite devant le danger, Paul oppose le courage de faire face. Face à l'adversité et à la menace, il nous faut faire, comme en toute chose, preuve de sagesse mais d'une « ferme sagesse » qui doit toujours être accompagnée de l'amour. Paul utilise le terme bien connu dans les Églises d'agapè, c'est-à-dire d'un amour en pratique qui se concrétise par de réelles solidarités, ici et ailleurs. En un mot de « générosité » au sens de synonyme de l'amour comme nous y invite le philosophe Spinoza. Ce n'est autre que la folie de l'Évangile que d'aimer ses ennemis et de faire du bien à ceux qui nous persécutent.


Paroles difficiles, ô combien, aujourd'hui que l'ennemi a pris un visage de terreur. La « résolution confiante » est encore accompagnée de « force » au sens d'énergie et de vitalité, littéralement « dynamique » (le grec dit dynameos). Il nous faut opposer à la froide détermination de ceux qui nous font peur, des valeurs et des principes qui soient plus courageux, plus justes, plus solidaires, plus généreux. Il nous faut être fermes, c'est-à-dire chercher à persévérer dans ce que nous sommes, dans nos identités et nos espérances. En d'autres termes, il nous faut sortir de l'apathie des fatalités et des solutions uniques qui nous ont fait cesser d'être à la hauteur de notre foi et de nos philosophies. Il nous faut remettre nos consciences, nos Églises, nos sociétés, en marche pour inventer une nouvelle manière d'incarner le Royaume de Dieu. Un royaume qui n'est pas et ne sera jamais de ce monde mais est l'utopie, à chaque fois renouvelée, que dans le silence et la fureur de la haine, c'est en restant « fermes, généreux et courageux » que nous construirons notre avenir.


Bonne année à tous, dans la paix !


Roland Kauffmann


1 For God hath not given us the spirit of fear; but of power, and of love, and of a sound mind.
2 Denn Gott hat uns nicht gegeben den Geist der Furcht, sondern der Kraft und der Liebe und der Besonnenheit
3 Spinoza, Éthique, De la liberté humaine, proposition X, scolie

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