Film à grand spectacle et gros budget, Noé de Darren Aronofsky est
l'exemple même du faux-débat et un cas typique de l'extrême difficulté
d'adapter un thème religieux et a fortiori biblique au cinéma.
En
effet, dans les pays de culture chrétienne, tout le monde connaît
l'histoire de l'arche mais pas forcément son contexte. Le déluge et son
arche font partie de notre imagier enfantin bien au-delà des cercles
paroissiaux. Mais combien de nos contemporains seraient capables de dire
les enjeux de cette histoire ? Les raisons qui poussent Dieu à décider
d'exterminer l'humanité en sauvant un couple de chaque espèce animale et
une seule famille humaine, celle de Noé dont la Bible nous dit qu'il
était "juste et intègre" à l'inverse de ses contemporains corrompus ?
Et
le désastre a lieu, voilà que Mathusalem devient gardien de la dernière
graine du paradis, voilà que des "Anges de lumières" sont devenus ceux
qui, archaïques Prométhées, ont apporté le feu aux hommes et ce faisant
leur donnent les moyens de pourrir la terre au lieu de la nourrir,
raison pour laquelle ils sont punis par ce Dieu décidément bien
versatile. Dont au final le spectateur est fondé à se demander s'il ne
serait pas pervers à force de créer des humanités viciées, condamnées à
l'inceste, à l'errance et à la destruction finale. Tout est en place
pour que le spectateur, ne connaissant plus les codes du mythe biblique
passe complètement à côté de l'intention de l'auteur du film qui, lui,
veut bel et bien nous interroger sur le sens que nous donnons au mot
"justice".
Aronofsky est le premier responsable des polémiques
autour de son film, dans la mesure où il prend le risque de s'approprier
dans une vision profondément personnelle, ce qui est d'abord et avant
tout un mythe. C'est-à-dire une représentation globale d'une réalité par
le biais d'une histoire qui, pour être inventée, n'en est pas moins
"vraie" au sens où elle raconte les tréfonds de l'âme humaine. Il n'en
faut pas plus pour que ceux qui considèrent la Bible comme étant la
chronique des premiers jours se déchaînent et crient à la trahison.
Disons-le
donc une fois pour toute, Noé et sa famille n'ont pas existé, pas plus
que l'Arche ni qu'Adam et Eve et pourtant Noé est bien notre ancêtre,
archétype de l'humanité avec ses contradictions. Et pour la Bible,
l'humanité issue d'Adam a disparu hormis la descendance de Noé.
Et
pourtant, Aronofsky nous propose une relecture de cette histoire d'une
manière très originale et féconde. Voilà donc Noé persuadé d'être dans
la volonté de Dieu. Il devient sous nos yeux un dictateur religieux,
persuadé de la nécessité d'une obéissance aveugle à un Dieu qu'il pense
être forcément Juste. Peu importe qu'il y ait des innocents dans
l'humanité, elle est condamnée au profit des seuls vrais innocents de la
destruction de la terre, les animaux. Et Noé d'être prêt à franchir un
degré supplémentaire dans la déshumanisation en envisageant de tuer les
enfants de son fils, des filles en plus, nées sur l'arche et promesse
d'un avenir possible pour l'humanité. C'est aussi parce qu'il se sait
homme et pas meilleur en réalité que les autres hommes que Noé s'inclut
dans la perdition. Il sait qu'il ne vaux pas mieux que les autres. Il
n'a pas été choisi parce que "juste et intègre" mais "parce que Dieu savait que je ferai ce qui doit être fait".
Scène
sublime où les éléments déchaînés se taisent pour laisser la place au
silence de Dieu. La mer et le ciel laissent la place à la supplique
d'une mère résignée, figure éternelle de la souffrance de l'humanité
devant les idéaux des fous de Dieu.
La tension dramatique est
presque digne de Shakespeare (ce dernier n'aurait pas sauvé les
fillettes) et Noé, accablé, écrasé par le silence de Dieu qui le laisse
choisir, renonce et laisse la vie sauve.
Peu lui importe alors que
l'arche accoste et que la vie reprenne ses droits, il sombre dans une
culpabilité alcoolisée qui n'a pas de solution dans la Bible mais dans
le film. Là où la Bible raconte un épisode qui justifie la malédiction
de Chaam, second fils de Noé, le film en fait l'épisode de la rédemption
de Noé par la voix d'Ila, sa belle fille lui disant que Dieu ne l'avait
choisi ni en raison de sa justice ni de son obéissance mais "parce qu'il savait que tu serais capable de choisir".
Tout
l'enjeu est là, alors qu'Adam et Eve ont fait le mauvais choix, Noé
devient le "nouvel Adam" précisément parce qu'il a fait le choix de
l'humanité, le choix du coeur et de la vie. Un choix approuvé par Dieu
qui signe sa nouvelle alliance (l'alliance noachique) par cet
arc-en-ciel dont nos contemporains ont sans doute oublié le sens.
Un
film bien plus riche et profond que son positionnement comme
blockbuster ne le laisse envisager avec une véritable intention d'auteur
mais malheureusement terriblement difficile à dégager de la gangue
spectaculaire. Et si c'était une nouvelle métaphore ?
Pour le groupe Pro-Fil de Mulhouse, Roland Kauffmann
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