Le dernier film de Ken Loach est bouleversant par ce qu'il montre de la réalité de tous ceux qui n'ont plus le droit de décider de ce qu'il peut advenir de leur vie.
Daniel Blake et Katie, les héros, sont confrontés à une forme de fatalité, à un "malheur que l'on ne peut éviter", la maladie pour l'un, la misère pour l'autre. Et les voilà ballotés dans les méandres administratifs et soumis au bon vouloir du "décisionnaire", personnage énigmatique mais récurrent, véritable démon qui légitime les sanctions qui pleuvent pour des prétextes futiles ou n'agit pas quand il le devrait sans qu'il n'ait jamais de comptes à rendre. Une justice immanente implacable qui peut décider que Katie et ses deux enfants, du jour au lendemain, doivent tout quitter, simplement parce qu'on leur fait l'aumône d'un toit, sans pour autant leur donner les moyens de vivre, de travailler ni d'étudier.
Entre univers concentrationnaire à la Kafka parce qu'incompréhensible et soumis à la dure loi des règlements assenés par les employés du "jobcenter", eux-mêmes soumis à ces mêmes règlements comme de simples "kapos", et misère ultime à la Dickens (on pense à Oliver Twist qui a l’effronterie de reprendre du gruau "alors que la paroisse se saigne aux quatre veines"), Daniel et Katie cherchent à préserver coûte que coûte leur dignité. Même si pour elle, les chaussures de sa fille valent bien qu'elle se prostitue... c'est le prix à payer pour épargner à ses enfants son propre destin.
Un tableau qu'on aurait pu croire oublié mais qui est le quotidien de millions de nos nouveaux Misérables confrontés à un système "dur aux faibles" et qui cherche à broyer l'intégrité de la personne. Ken Loach, par la précision qu'il donne aux situations pathétiques et grâce au jeu admirable des acteurs parvient à faire du vrai cinéma et à transformer cette histoire triste en leçon d'humanité, à la manière d'un Victor Hugo cinématographique.
Au sentiment d'impuissance, qui nous étreint et se révèle justement comme le piège qui guette Daniel et Katie, succède l'éloge, malheureusement funèbre, de Katie à Daniel soulignant qu'il "était un homme et il nous a donné ce que l'on ne peut acheter", de l'amour, du respect et de la solidarité.
Autant de dimensions humaines que l'on s'étonne que "Moi Daniel Blake" n'ait eu qu'une mention et pas le prix 2016 du Jury œcuménique de Cannes, qui est allé à "Juste la fin du monde" de Xavier Dolan, une consolation pour ce dernier ?
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