"C'est pas la fin du monde" se dit Louis lorsqu'il se prépare à retrouver sa famille après une absence de plusieurs années et à leur annoncer sa mort prochaine. Et pourtant, cette annonce, ou plutôt son impossibilité, signe au contraire la "fin du monde". Elle serait un tel cataclysme pour cette famille déjà décomposée et, sans doute, pour lui aussi, qu'il y renonce et retourne à sa vie que l'on imagine si active et exaltante, bien loin de l'ennui qui infuse dans cette maison familiale.
L'adaptation au cinéma d'une pièce de théâtre est toujours un défi d'autant plus lorsqu'il s'agit d'une œuvre aussi hors-norme que celle de Jean-Luc Lagarce. Hors-norme par son langage, saccadé, haché, coupé et truffé de non-dits. Rarement les mots échangés se seront révélés à la fois si creux et pourtant chargés de sens que dans cette pièce, explorant précisément l'impossibilité de la transmission à d'autres du sentiment de sa propre fin. Car c'est de cela qu'il s'agit, plus que de la "fin du monde". Le monde continue quand bien même il se finirait pour nous. Le monde ne se résume pas à Louis, il continue pour sa famille, même si ce monde là, celui du ressentiment et des illusions, lui déplaît, il doit s'y faire et comprendre que le monde n'a de fin que pour lui, ici et maintenant.
Ce sentiment de finitude comme de vacuité est magnifiquement rendu par Dolan par l'absence de ce qui est pourtant au centre du film: le repas. Alors que l'on ne cesse de s'y préparer, ou d'en parler voire d'en sortir, ils ne sont jamais réunis à table, jamais dans la simple commensalité. Sans doute que ce repas aurait eu alors sa place dans l'anthologie des repas assassins à l'égal de Festen ou de Un été à Osage County. Lorsque les mots perdent leur sens en devenant obèses de significations, ils ne servent plus à rien, c'est alors bien la fin du monde.
Pour le groupe Pro-Fil de Mulhouse
Roland Kauffmann
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