Nanni Moretti mêle ainsi de manière virtuose le récit d'épisodes de vie qui nous sont largement communs comme la rupture sentimentale, la transmission familiale, la perte d'un être cher, l'accompagnement vers la mort ou les difficultés professionnelles avec une interrogation majeure sur l'art du cinéma. En nous montrant dans une même séquence, le résultat et l'artifice qui permet de parvenir à sa représentation, en nous introduisant dans les doutes d'une réalisatrice toute puissante sur son plateau et pourtant traversée par le doute permanent et ne sachant pas très bien elle-même ce qu'elle veut dire quand elle demande à ses acteurs «d'être à côté de ton personnage », Moretti nous associe à sa réflexion personnelle sur la vie.
Une
vie faite d'entrelacs de complexité qui ne sont pas ici
hiérarchisées justement parce qu'elles se présentent toutes dans
la même urgence, avec la même importance. L'apprentissage du
scooter par Livia peut paraître superficiel au regard de la fin de
vie de sa grand-mère, Ada ou des difficultés que rencontre sa mère
Margherita pour finir son film mais c'est important pour elle et le
reconnaître, c'est une manière d'affirmer qu'il faut accorder de
l'attention à l'autre.
C'est
la prise de conscience principale pour Margherita qui lui est imposée
abruptement par son ancien amant, plus malicieusement par son frère
Giovanni et très délicatement par Ada lorqu'elle lui apprend que sa
fille a eu une déception amoureuse dont elle ne s'était même pas
rendu compte. Il en va de même pour son film où elle en attend trop
de l'acteur soi-disant génial sans faire attention à ses
difficultés.
Elle
qui veut faire de l'art en demandant à ses acteurs de ne pas être
seulement leur personnage mais aussi de rester visibles en tant que
personne, en tant qu'acteurs, comprend qu'elle est en train de passer
à côté des autres. À côté de sa fille, à côté de sa mère
mourante, à côté de son film, à côté de sa vie finalement.
Mia
Madre est le récit de ces petits choix permanents qui déterminent
ce qui est important. Lorsqu'elle apprend, au moment du tournage
d'une scène essentielle, que sa mère vit ses derniers instants,
elle prend le temps de finir la scène, non par égoïsme qui lui
aurait été pardonné, mais parce qu'elle fait maintenant attention
à ses acteurs, contrairement au début du film. C'est aussi parce
qu'elle sait avoir vécu ce qu'il fallait avec sa mère et qu'elle
peut maintenant la laisser aller en paix.
C'est
une leçon d'un cinéma qui parle de l'ordinaire de l'existence sans
cacher ses propres dispositifs techniques en nous emmenant, parfois
sans transition sur les chemins du rêve et de la réalité, sans que
l'on puisse bien les distinguer. C'est aussi une leçon de vie où
l'attention à l'autre est le plus court chemin pour aller vers
soi-même.
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